Au cœur du chœur : le tombeau du cardinal Bertrand de Déaux

Au Moyen Âge, la mort est visible, exacerbée. Des cimetières jouxtant les églises, bordés de fresques macabres, aux sculptures funéraires élevées à l’intérieur même de celles-ci, une pluralité de représentations la matérialisent au regard des fidèles. Parfois, d’impressionnants tombeaux témoignent encore de cet ars moriendi, tel celui du cardinal Bertrand de Déaux, partiellement conservé dans le chœur de la collégiale Saint-Didier d’Avignon. Mais quelle est donc son histoire ?

De la mort jaillit la vie

En premier lieu, il convient de dresser un bref historique de l’édifice accueillant les vestiges du monument funéraire de Bertrand de Déaux. Cela est d’autant plus important que l’érection de cette collégiale gothique est intimement liée au personnage dont il est ici question. En effet, une première construction romane, totalement disparue, existait à cet endroit depuis au moins la seconde moitié du XIème siècle. Modeste église de paroisse, elle prend néanmoins une importance nouvelle au temps de la papauté avignonnaise. Et, plus précisément encore, à l’occasion d’une triste nouvelle : le décès d’un homme. Bertrand de Déaux, alors installé à quelques pas de Saint-Didier dans la livrée dite de Ceccano, meurt le 21 octobre 1355.

Dans son testament, rédigé quatre jours plus tôt, il demandait à ses exécuteurs testamentaires de fonder un collège de religieux ou de clercs séculiers, laquelle fondation prendrait pied à Avignon même ou dans l’une de ses possessions de Villeneuve1. Le document relatant ces informations, bien connu des érudits locaux comme des historiens contemporains, précise encore les souhaits du cardinal et évêque de Sabine en ce qui concerne ledit collège. En théorie, celui-ci devrait recevoir une église, un clocher, des logements et des offices convenables, mais aussi une somme de mille florins « pro ornamentis […] ac libris et utencilibus oportunis dicti collegii ». Le lieu précis de fondation, comme il en ressort du document, est donc laissé à ces « testamenti executores », souvent issus du clergé séculier local par ailleurs. Et c’est l’église Saint-Didier d’Avignon qui est finalement choisie, comme l’atteste, par exemple, l’autorisation concédée par le pape Innocent VI le 22 novembre 13552. L’église romane peut alors être reconstruite, cette fois dans un style gothique toujours visible, accueillir un chapitre de religieux et prendre en conséquence le titre de collégiale – une dignité qu’elle a conservée.

Portrait de Bertrand de Déaux rapporté par François Duchesne (dans Histoire de tous les cardinaux françois de naissance, vol. 1, p. 477). Domaine public, source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Fragments monumentaux

La collégiale Saint-Didier, produit des libéralités du cardinal Bertrand de Déaux, est consacrée le 20 septembre 1359, soit un peu moins de quatre ans après le début des travaux. Quelques temps plus tard, la dépouille de son bienfaiteur y est inhumée. C’est de l’histoire de sa sépulture qu’il faut maintenant tenter de rendre compte brièvement. Pour ce faire, il est possible de s’appuyer sur le travail des chercheurs d’une part et, de l’autre, sur les vestiges encore conservés du monument funéraire. L’enfeu médiéval accueillant le tombeau du cardinal est en effet toujours visible aujourd’hui, dans la paroi gauche de l’abside de Saint-Didier. Bien que dégradé et incomplet, il permet de se faire une idée des dimensions de l’œuvre, du raffinement des sculptures, de la palette de couleurs utilisée et des sujets représentés. La partie inférieure, perdue à ce jour et bien moins connue que son pendant supérieur, devait probablement se composer d’un socle taillé sur lequel reposait un gisant à l’image du cardinal Bertrand de Déaux. Ce type iconographique se retrouve régulièrement dans la sculpture funéraire de cette époque. À Avignon, il suffit par exemple de penser au gisant du cardinal Jean de La Grange, mort en 1402 et enterré dans le chœur de l’église Saint-Martial 3. Exposé au Musée du Petit Palais, il donne à voir l’homme revêtu de ses vêtements ecclésiastiques, les mains jointes sur la poitrine et la tête reposant sur un oreiller, tel que l’était peut-être aussi celui de Bertrand de Déaux.

En réalité, un fragment de la statue tombale a survécu aux aléas des siècles : le masque du gisant. Retrouvé dans la seconde moitié du XIXème siècle, il semble correspondre au dessin qu’en dresse François Duchesne à partir de la « représentation de ce cardinal qui est sur son tombeau dans l’église de Saint-Didier d’Avignon »4. La section supérieure est, quant à elle, bien mieux préservée. Les armes de Bertrand de Déaux, les fresques de saint Jérôme à gauche et de saint Grégoire-le-Grand à droite, la statuette du cardinal placée au centre de cette grande architecture gothique sculptée, les couleurs d’une partie de celle-ci, permettent d’apprécier la forme, le contenu et le style de ce tombeau cardinalice de la seconde moitié du XIVème siècle.

Photographie du monument funéraire de Bertrand de Déaux conservé dans le chœur de la collégiale Saint-Didier d’Avignon. Cliché de l’auteur, licence cc by sa

Affres et hasards des siècles

Aujourd’hui, le gisant du cardinal a disparu, tout comme d’autres pièces sculptées du tombeau, et même sa dépouille n’a pas été épargnée par les hommes des siècles passés. En effet, son corps est exhumé une première fois au temps de Louis XIV, à la fin des années 1670. Transféré au milieu du chœur, dans un caveau déjà occupé par la dépouille de son neveu Jean de Blauzac (ou de Blandiac), cardinal mort en 1379, il est profané au moment de la Révolution. C’est également à cette époque que le gisant est détruit et dispersé. Toutefois, l’opération de décoration du chœur par l’ajout de grandes boiseries, menée par les chanoines du lieu dans ces mêmes années 1670, masque le monument funéraire au regard des pillards du siècle suivant, le préservant ainsi d’une destruction plus grave encore. Et c’est dans les années 1972-1973, à l’occasion du nettoyage des parois de la collégiale, que les boiseries du chœur sont retirées et qu’est redécouvert le tombeau du cardinal Bertrand de Déaux. Une découverte fortuite qui, dès lors, fait l’objet de quelques publications scientifiques, lesquelles font notamment le point sur une datation approximative de la construction du tombeau. Pour Sylvain Gagnière comme pour Françoise Baron, il faudrait situer sa réalisation entre 1360 et 1365 – soit dans la décennie suivant la mort du cardinal de Déaux. Autrement dit, à une époque où la sculpture funéraire avignonnaise prend de l’ampleur, ainsi qu’en témoignent les fragments d’autres tombeaux conservés et dont l’histoire demeure encore parfois méconnue.

Photographie d’une partie de la dalle funéraire recouvrant le caveau de Jean de Blauzac et de Bertrand de Déaux dans le chœur de la collégiale Saint-Didier d’Avignon. Cliché de l’auteur, licence cc by sa

Pour aller plus loin :

BARON Françoise, « Fragments de gisants avignonnais », dans La revue du Louvre et des Musées de France, 28, 1978, p. 73-83.

GAGNIÈRE Sylvain, « Le tombeau du cardinal de Déaux dans l’église Saint-Didier d’Avignon », dans Études vauclusiennes, 17, 1977, p. 1-10.

GIRARD Alain, « La construction de l’église Saint-Didier d’Avignon », dans Avignon au Moyen Âge. Textes et documents, Avignon, Aubanel, 1988, p. 119-126.

Citer cet article : Émilien Segantini, "Au cœur du chœur : le tombeau du cardinal Bertrand de Déaux," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 13 décembre 2022, https://eua.hypotheses.org/10491.
  1. Joseph-Hyacinthe Albanès, Ulysse Chevalier (éd.), Gallia Christiana Novissima. Histoire des archevêchés, évêchés et abbayes de France, t. VII (Avignon), Valence, Imprimerie valentinoise, 1920, n. 1319. []
  2. Id., n. 1320. []
  3. Il serait également possible de citer d’autres exemples, tel celui de Philippe Cabassole, inhumé près du maître-autel de l’église des chartreux de Bonpas. Sur ce point, voir par exemple Hélène Maignan, « Les archives médiévales de Cavaillon dans le fonds municipal », dans Simone Balossino, François Guyonnet (dir.), Cavaillon au Moyen Âge, Avignon, Éditions Universitaires d’Avignon, 2022, p. 198-199. []
  4. C’est notamment ce qu’affirme Françoise Baron, « Fragments de gisants avignonnais », dans La revue du Louvre et des Musées de France, vol. 28, 1978, p. 75. Pour la citation, voir François Duchesne, Histoire de tous les cardinaux françois de naissance, Paris, s. n., vol. 1, 1660, p. 477. []

Auteur/autrice : Émilien Segantini

Étudiant en M2 CMI Histoire et Multimédia, j’éprouve un grand intérêt pour l’histoire religieuse médiévale. Dans le cadre de mon mémoire, je me penche sur la question de la réglementation des conflits paroissiaux opposant le clergé séculier aux ordres réguliers d'Avignon entre la fin du XIIème et le début du XVème siècle.

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