Que se passe-t-il lorsque des producteurs de jeux vidéo travaillent avec un ensemble d’historiens et de spécialistes, en vue de proposer une expérience à la fois agréable à parcourir, et aussi proche de la réalité historique que possible ?
Il ne s’agit pas de l’Histopad, proposé au Palais des Papes depuis 2017, mais de la série Assassin’s Creed des studios Ubisoft, qui propose depuis quinze ans de jouer dans des reconstitutions de régions à des époques précises.
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La série complète, ses nombreux dérivés, et les développeurs ont pour objectif premier de proposer un univers le plus fidèle possible par rapport à la réalité historique, tout en prenant en compte les contraintes vidéoludiques. Pour que cette association se concrétise, les studios s’appuient sur des équipes multiculturelles au sens large, et plus particulièrement sur la supervision de Maxime Durand, historien à demeure de l’entreprise, pour être la personne-ressource des consultants mobilisés pour chaque épisode de la série. Issu d’une formation universitaire en histoire, il est recruté pour coordonner les contenus historiques des jeux depuis 2010 et coordonne les différents chercheurs sélectionnés selon les champs d’études en amont des développements. Afin de réaliser les différents opera de la série après ces recrutements, l’équipe, constituée des consultants et des développeurs, se déplace dans les régions choisies comme « monde du jeu », afin de pouvoir construire une base solide de travail : visuels, mesures et sources historiques.

Un article dans la Revue de la Bibliothèque Nationale de France1 détaille la méthode pour recréer des sites et monuments dans le jeu. Deux situations sont possibles : un contexte favorable dans lequel la source primaire ou le document archéologique est disponible et accessible. L’équipe peut alors proposer une version numérique, en accord avec le cadre vidéoludique qui intègre notamment le changement d’échelle pour le level design. La situation inverse peut se présenter : ces ressources peuvent être indisponibles, les données sont en conséquence moins favorables au développement. L’équipe construit en conséquence une synthèse des modèles connus dans d’autres régions, afin de créer une alternative crédible, mais qui peut manquer de vraisemblance. L’un des exemples les plus connus est la bibliothèque d’Alexandrie, et l’absence d’informations sur son apparence. Pour combler cette absence, les développeurs se sont basés sur la bibliothèque de Celsus à Éphèse, du moins les éléments de façade qui sont présents sur le site. Le développement exponentiel des avancées technologiques touche également le jeu vidéo : pour la série Assassin’s Creed, ce dernier s’est concrétisé par des graphismes plus détaillés et des mouvements plus fluides pour Assassin’s Creed Origins, Assassin’s Creed Odyssey et Assassin’s Creed Valhalla, en comparaison aux premiers opera. Pour ces jeux, un nombre important de consultants ont été recrutés pour participer au développement. Leurs conseils, leurs connaissances scientifiques sur des domaines variés : bâtiments, sculptures, couleurs, mais aussi sur le grec classique, spécialité notamment de Stéphanie-Anna Ruatta, sont précieux.
Transmettre par la création
Un jeu vidéo peut-il être un médiateur des connaissances scientifiques tout public ? Apporter une réponse claire à cette question est certes délicat, mais nous apporterons des éléments pour en construire une amorce. La série Assassin’s Creed se montre prometteuse en guise de média de transmission de savoirs et de mise en lumière d’un patrimoine disparu ou abîmé. Les aspects de valorisation du patrimoine et la place des jeux vidéo à l’école sont déjà traités dans un précédent billet2, ici nous nous concentrerons sur les savoirs scientifiques, leur utilisation et leur transmission par les différents épisodes, ainsi que par les ouvrages nés de l’ensemble cross-média de la série. Le premier élément à mentionner pour répondre à notre réflexion est la présence de base de données ou codex selon les jeux utilisés, outils qui donnent des informations complémentaires sur différents sujets : lieux, personnages, évènements et culture. Lorsque le joueur se plonge dans les neuf premiers épisodes de la série et avance dans le scénario, le menu « Base de données » l’avertit de nouvelles entrées par l’intermédiaire de notifications discrètes sur l’écran. Ces alertes l’invitent à consulter les données accessibles au fur et à mesure de sa progression.

Le deuxième élément de réponse est le Discovery Tour, mode tourné vers l’éducatif, où le joueur-découvrant, un gamer qui peut apprendre en s’amusant, peut explorer l’open world sans combattre selon ses envies et suivre des visites préétablies. Il est possible alors pour ce dernier de comprendre la décision du studio par l’observation du modèle utilisé et l’écoute des explications de ce choix. Une fois ces clés acquises par l’intermédiaire de la visite, une comparaison précise et critique entre la source et le rendu in-game peut être effectuée. Les chercheurs spécialistes de la période antique reconnaissent tout de suite la bibliothèque de Celsus à la simple vue de la version d’Ubisoft. Au sein du Discovery Tour, le commentaire audio associé à cette station, qui est un témoignage des équipes de développement, et la visite permettent au joueur-découvrant de se familiariser avec le choix d’Ubisoft, et surtout de connaître un peu plus la bibliothèque d’Alexandrie.
Le studio français, dans son optique de renforcer la médiation de savoirs, propose un ensemble de livres de référence et d’articles scientifiques nés de cette série : l’intégralité des Discovery Tour mentionnés ci-dessus a été adaptée sous la forme des Discovery Books, plongeant les lecteurs dans l’Égypte de Cléopâtre VII Philopator, la Grèce du Vème siècle avant Jésus-Christ et les incursions vikings en Angleterre au VIIIème siècle. La revue Historia, quant à elle, a publié plusieurs numéros liés aux différents jeux de la série depuis l’opus se déroulant à l’Âge d’or de la piraterie, puis a regroupé l’ensemble de sa production dans l’ouvrage Assassin’s Creed, 2 500 ans d’histoire, en collaboration avec la maison d’édition les Arènes. Dans cet ouvrage, le contenu scientifique des articles trouve un écho dans l’utilisation d’images issues des jeux, des concept arts de la série ainsi que des outils synthétisant les grandes dates d’une période par exemple, de même que la longueur des articles, d’une dizaine de pages maximum, facilite l’entrée dans l’ouvrage et l’assimilation d’une partie de ce contenu.
La série Assassin’s Creed est-elle un bon Tardis ?
Les jeux, en tant que tels, prennent effectivement des libertés avec les ressources historiques utilisées, puisque leur vocation première est le divertissement et, en tant qu’entreprise, Ubisoft a également en tête une logique de consommation lors de ses productions. Cependant, ce sont ces mêmes libertés qui permettent au joueur de se plonger dans l’univers et d’aller chercher des informations dans le jeu ou en dehors avec les différents ouvrages. Cette tentative de médiation des savoirs a trouvé un écho au sein d’établissements culturels recevant du public : le musée d’Orange a proposé une exposition temporaire en 2022 sur la mythologie à notre époque, exposition qui incluait l’opus Assassin’s Creed Odyssey. On peut l’imaginer en support possible pour travailler avec des adolescents la notion d’esprit critique, ou même de leur faire voir, par un autre chemin, ce qui leur est enseigné.
- Réécrire l’histoire en écrivant la sienne, la construction des mondes d’Assassin’s Creed, Guibert Xavier, Guindeuil Thomas, Le Breton Erwan, Noël Thierry, Revue de la Bibliothèque Nationale de France, n° 59, 2019, Paris. Article consultable en ligne : https://www.cairn.info/revue-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-2019-2-page-104.htm [↩]
- Vincent Fleury, « La valorisation de l’histoire et du patrimoine à travers le jeu vidéo, » in Les Éditions Universitaires d’Avignon : carnet de recherche, 14 décembre 2021, https://eua.hypotheses.org/5708. [↩]
Bravo mon fils !