De Samain à la Toussaint, la victoire des fêtes chrétiennes ?

Les fêtes païennes romaines, grecques et celtes sont petit à petit abandonnées durant l’antiquité tardive. Les fêtes chrétiennes semblent les remplacer en faisant table rase, mais en réalité elles s’en inspirent beaucoup pour y imposer la foi christique. Le calendrier chrétien amène à des commémorations de la vie du Christ mais aussi à prier pour le Dieu unique et pour l’humanité. Une fête, pourtant assez peu connue, n’y fait pas exception, la Toussaint.

Fête des morts : Samain ou Toussaint ?

Fra Angelico, Les précurseurs du Christ avec les saints et les martyrs, 1423-1424, Domaine public

Beaucoup de personnes dans le monde connaissent la fête d’Halloween, certains savent aussi que cette fête est en réalité chrétienne. En effet, dans le calendrier grégorien, la fête du 31 novembre ou fête de la Toussaint, célèbre toutes les personnes sanctifiées dans le Ciel et est suivie par une fête un peu moins connue mais tout aussi importante, celle du 2 novembre ou de la commémoration des défunts.

La fête de la Toussaint, comme la fête de Noël, reprend des fêtes païennes qui se déroulaient à cette époque de l’année. Ces fête se déroulaient entre deux saisons et aussi deux années, mais n’appartenait à l’année qui venait de s’écouler, ni à l’année à venir. Les fêtes de Samain était  fête entre les deux années, mais aussi entre le monde des morts et le monde des vivants où les morts et les vivants pouvaient se côtoyer. Il y a dans cette fête une idée importante à retenir : le fait que les personnes qui meurent vivent dans un au-delà et qu’un culte leur était dû.

La Toussaint, ou le triomphe des fêtes chrétiennes ?

L’arrivée du christianisme au début du Moyen-Âge en Europe du nord, notamment en Irlande, a chamboulé les fêtes traditionnelles locales, notamment cette de Samain. Les nouvelles autorités chrétiennes ont voulu purement et simplement supprimer ces fêtes et leur imposer le calendrier grégorien. Le message était on un peut plus clair : les peuples du nord doivent prier Jésus et non des druides ou des entités surnaturelles. L’argument principal était les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament : Psaume 16, 1-4 « Garde moi, ô Dieu, mon refuge est en toi. J’ai dit à Yahvé : C’est toi mon Seigneur, mon bonheur n’est en aucun de ces démons de la terre. Ceux-là en imposent à tous ceux qui les aiment, leurs idoles foisonnent, on court à leur suite. Verser leurs libations de sang ? Jamais ! Faire monter leurs noms sur mes lèvres ? Jamais ! » Les fêtes païennes sont donc condamnées pour des raisons surnaturelles.

Néanmoins les supprimer de force aurait été contreproductif pour les nouveaux adaptes du christianisme. En effet, ayant subi les répercussions romains durant l’antiquité tardive ils ont vu leur nombre croitre jusqu’au plus haut sommet du pouvoir impérial avec l’empereur Constantin, notamment grâce aux martyrs. Les chrétiens ont, pour ne pas subir à nouveau le même sort, choisi une autre approche : ils ont se sont appropriés cette fête non seulement en lien avec les croyances du christianisme, le Christ promettant la vie éternelle à ceux qui le suivent dans l’Église catholique, mais aussi afin de pouvoir convertir plus facilement les populations païennes. Le pape Grégoire IV instaure la fête de la Toussaint en 837 en France. Elle est donc une rupture avec l’aspect païen de Samain et une continuité par la commémoration des morts. Cette commémoration est même davantage mise en avant dans le calendrier liturgique durant tout le mois de Novembre où les catholiques prient pour les âmes du purgatoire. Le pape instaure cette fête afin de montrer l’importance de la vie éternelle dans l’au-delà, mais aussi de rappeler la vie des défunts et des saints canonisés, afin que les fidèles de l’Église catholique puissent s’en inspirer et vivre en bons chrétiens.

Cette fête religieuse n’est pas seulement une pratique. Elle tire sa raison d’être dans les Évangiles, comme dans cet extrait de l’Évangile selon Luc, chapitre 7, versets 11-14 : En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Jésus se rendait dans une ville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui ainsi qu’une grande foule. Il arriva près d’une porte de la ville, au moment où l’on transportait un mort pour l’enterrer ; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule considérable accompagnait cette femme. En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle et lui dit : « Ne pleure pas. » Il s’avança et toucha la civière ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. » Alors le mort se redressa, s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. » Les théologiens catholiques précisent, notamment Saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, que Jésus est venu non seulement accomplir les prophéties de l’Ancien Testament mais aussi sauver tous les hommes. Ils s’appuient sur le fait que l’Église est catholique ou universelle en grec ancien. La doctrine catholique précise que cette commémoration se fait aussi car il y a une intercession nécessaire entre les morts et les vivants. En effet, à cette époque émerge un mot nouveau dans les croyances chrétiennes : celle du purgatoire. Les catholiques doivent prier durant tout le mois de novembre pour des âmes qui sont dans ce lieu de purification avant qu’elles aillent au ciel. Les âmes des gens qui y sont purifiées de leurs péchés véniels car elles ne peuvent pas aller en enfer ni pour l’instant profiter du Ciel. En effet elles ne se sont pas assez repenties de leurs péchés véniels selon la volonté divine. Il y a donc une idée de purification mais aussi d’espoir pour les trépassés mais aussi à transmettre aux vivants.

Halloween, ou la revanche de Samain ?

Jack o’lantern : Angel and Daemon, avec la contribution de l’auteur : MANSOUR DE TOTH (Laszloen) et l’autorisation de la GNU Free Documentation License

Aujourd’hui, la pratique religieuse a drastiquement diminué, le sens des fêtes aussi. Le mot Halloween, vient de l’anglais All Saints Eve, qui après une émigration aux États-Unis liés à la crise de la pomme de terre de la fin du XIXe siècle, se transforme en Halloween. Le folklore américain s’empare alors de la fête : les visages creusés dans les citrouilles, faire le tour de quartiers de maisons pour demander des sucreries, les déguisements pour faire peur. Cette fête semble être devenue enfantine, mais de nombreux meurtres commis durant le 31 octobre comme celui de Ronald Clark O’Bryan sur son propre fils en 1974, ainsi que de nombreux films cinématographiques comme la série des Halloween ou L’étrange Noël de Monsieur Jack l’ont transformée dans l’inconscient collectif en une fête sombre. Le macabre fait donc son grand retour, et l’esprit du paganisme aussi avec le shamanisme indien repris par les scénaristes de livres d’horreur comme Stephen King dans son livre Ça. La fête d’Halloween est donc intimement liée à la question de l’au-delà et celle de l’entretien entre les vivants et les morts.

Bibliographie

  • Bihan, H (dir.), Mythes, littérature, langue, Rennes, Éditions Tir (Klask vol. 10), 2011
  • Le Goffic, Charles, Fêtes et coutumes populaires, Éditions La Gibecière à Mots, 2019

Sitographie  

Citer cet article : Arthur Higué, "De Samain à la Toussaint, la victoire des fêtes chrétiennes ?," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 13 décembre 2022, https://eua.hypotheses.org/11110.

Auteur/autrice : Arthur Higué

Après avoir obtenu deux licences en histoire et histoire de l'art ainsi qu'un master de recherche à l'Université de Bordeaux Montaigne, je suis en seconde année de master Patrimoine et Cultures Numériques à l'Université d'Avignon. Je souhaiterais travailler plus tard dans le milieu des bibliothèques.

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