« Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contraintes de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre. » Définition de dystopie sur le site wikipédia
Ces derniers temps, les univers dystopiques émergent de plus en plus au sein des œuvres de la culture populaire : le cyberpunk avec Cyberpunk 2077, le post-apocalyptique avec Fallout, l’éradication de l’humanité avec The Last of Us. On assiste à une évolution de l’œuvre d’anticipation. Cette catégorie existe pourtant depuis les années 30 avec des œuvres littéraires comme « Le Meilleur des Mondes » sortit en 1932 d’Aldous Huxley ou encore « 1984 » paru en 1949 de Georges Orwell. Les années 60 voient l’émergence de plusieurs œuvres dites utopistes, où l’on nous conte un futur radieux et édulcoré de tous les vices de l’humanité. On observe un tournant dans les années 80 où les créations se tournent vers un futur plus sombre et plus noir. La dystopie est en croissance dans les œuvres de fiction et il convient de comprendre d’où vient ce changement et comment ce dernier se traduit dans la culture populaire ?
Pour répondre à cette question, nous analyserons une œuvre issue du jeu-vidéo, Cyberpunk 2077 du studio CD Projekt et sa série animée Cyberpunk 2077 : Edgerunners sorti en 2021 sur la plateforme de streaming Netflix.
Sex, drugs and robot
L’univers Cyberpunk est d’abord issu du jeu de rôle sur table Cyberpunk 2020 de Mike Pondsmith. Le succès du jeu est immédiat et le cyberpunk devient un genre à part entière. Dans ce monde, la technologie a pris une place importante dans une société dégénérée où les corporations d’entreprises ont la mainmise sur la population. Le jeu-vidéo Cyberpunk 2077 sort en 2020 où l’on incarne V, simple habitant de la mégalopole tentaculaire et décadente Night City. Le jeu nous fait voyager dans différents quartiers de la ville dépeignant les différentes strates de la société. Nous passons par les zones les plus populaires où drogues et technologies de récupération sont part intégrante de la vie quotidienne. Le tableau est frappant, ces humains cherchent tous les moyens possibles pour s’enfuir d’un quotidien sombre et désespéré. Les nombreuses publicités holographiques parasitent le paysage, le temps de cerveau disponible est une ressource à exploiter par les entreprises. Sexe, drogue, violence, alcool définissent cette jungle urbaine. Un aspect du jeu nous présente une mécanique appelée Danse Sensorielle où la personne peut revivre un moment de la vie de quelqu’un d’un point de vue interne et en même temps omniscient, l’utilisateur peut explorer le souvenir et en ressentir les émotions. La technologie, utilisée à la base pour enquêter sur des meurtres, est souvent détournée par les usagers pour revivre des scènes de sexes, de meurtres ou d’adrénaline extrême. La sexualité est omniprésente, au cours de notre expérience de jeu, on remarque souvent l’utilisation du corps et de la nudité comme atout commercial, une pub pour un simple paquet de céréales est présentée par des hommes et des femmes nues. La drogue est aussi quelque chose qui fait partie intégrante du quotidien des habitants, ces dernières poussent le corps humain à sa limite et peuvent lui permettre des capacités surhumaines : saut de 3m de haut, vision du futur, endurance illimitée. Néanmoins, comme toute drogue, la dépendance est présente et l’usage de ces substances abîme irrémédiablement le corps humain. Le gameplay du jeu nous propose l’usage de ces drogues pour vaincre des ennemis ou simplement expérimenter ces effets, cependant le contrecoup sur notre personnage est bien visible, menant même à la dépendance et la dégradation de sa santé.
La technologie et le transhumanisme complètent ce tableau, les humains achètent des améliorations robotiques de leurs corps pour dépasser les limites du corps. Bras surpuissants, jambes améliorées, œil bionique, tout est bon pour améliorer son anatomie. L’homme se rapproche de plus en plus du robot et comme toute machine, ce dernier peut avoir des bugs. C’est comme ça que naissent des « cyberpsychos » : humains ayant eu trop d’implants en eux et sombrant dans la folie, tuant tout sur leur passage. Nous voyons donc que dans le futur, tout va trop vite pour l’humanité. Les décadences pullulent et nous peignent une société où l’avenir n’a plus sa place, où les hommes cherchent un moyen de surpasser leur misérable quotidien. Et pourtant ce futur n’est pas si éloigné du nôtre, la sursexualisation des pubs continue et il ne serait pas impossible de voir ce genre de réclames de nos jours. La drogue continue ses ravages dans les strates les plus pauvres de la société, les produits dopants sont de plus en plus efficaces et parallèlement dangereux. Les premiers implants technologiques dans le corps humain commencent à apparaître, on peut citer, par exemple, Neuralink, société d’Elon Musk qui a pour projet d’insérer une puce dans le cerveau des patients, pour notamment recouvrer la vue aux personnes atteintes de cécité. Bien qu’exagéré, les traits et surtout les vices que décrit Cyberpunk ne sont pas si éloignés de notre réalité, il suffit de voir au travers du prisme futuriste pour comprendre que l’œuvre dénonce les torts de la société actuelle et transcrit le pessimisme des plus jeunes générations concernant l’avenir de l’humanité
Empire commercial et diaspora
Ce qui frappe aussi dans l’univers de cyberpunk c’est la diaspora entre les gens aisés et les classes populaires. Le scénario du jeu nous pousse aussi à côtoyer et explorer les quartiers les plus aisés de la ville. Il y a un gouffre d’inégalité, par exemple, il existe une assurance médicale payante qui agit en urgence quand les puces de santé des plus riches faillissent, mais ceux qui sont dans le besoin et qui ne payent pas l’assurance sont laissés pour morts. Leurs logements sont beaux, suréquipés en technologie, toutes leurs améliorations sont neuves et bien installées. Cependant, le monde des corporations est aussi impitoyable que la rue, ces derniers veulent des postes de plus en plus reconnus au sein de ses entreprises, comme par exemple la société Arasaka que l’on retrouve dans le jeu. Meurtres, chantages et corruptions sont monnaie courante pour occuper les meilleurs postes. Cette société futuriste serait finalement plus proche qu’on le croit. Les inégalités se creusent et pourtant rien ne se passe. Les améliorations transhumanistes sont symbole de richesses et de supériorité, on le voit dans la série éponyme où le héros subit du harcèlement physique et verbal dû à la basse qualité de son équipement. Pas besoin d’aller dans le futur pour comprendre le parallèle avec la société de consommation d’aujourd’hui, où les symboles de richesses extérieures sont synonymes de richesses.
La froideur de ce monde nous frappe, et elle peut-être plus effrayante que ce que nous pouvons voir dès les bas quartiers. Le manque d’humanisme de ces employés n’est pas sans rappeler la déconnexion à la réalité que nous vivons actuellement. On peut voir l’impact de ces mégacorporations à travers des billets télévisés au cours de notre aventure dans le jeu qui expliquent les catastrophes climatiques liées à l’activité d’Arasaka. Le lien est évident avec les dommages que font des sociétés multinationales comme Tesla, Total Énergie, Microsoft, etc.
2077 ou 2022 ?
Finalement, ce qui nous est présenté dans l’œuvre cyberpunk 2077 n’est pas si éloigné de nous. Cette critique par le prisme d’une fiction futuriste nous rappelle sans cesse que Night City et notre monde ne sont pas si éloignés. Les écarts entre les riches et les plus démunis se creusent. Des dynasties commerciales naissent et endommagent la planète de manière irréversible. Le jeu est pessimiste et nous fait voir la plus profonde noirceur de l’être humain. Cette vision fataliste nous fait penser que tout espoir est impossible, pourtant c’est bien à notre époque que nous pouvons éviter de finir comme Night City. L’héritage du genre cyberpunk a donné un nouveau souffle à l’art de l’anticipation, finit les utopies où l’humain est protégé par sa technologie, maintenant le vice humain se joint à l’avenir et nous permet d’avoir une des plus grandes œuvres de fiction de tous les temps. Cependant Cyberpunk n’est pas un jeu à part, plein de jeux vidéos se basant dans le futur de l’humanité nous donnent leur propre vision de l’humanité. Fallout, par exemple, révolutionne le genre du post-apocalyptique et nous fait voir un monde ravagé par la guerre nucléaire, ou encore, The Last of Us qui nous fait jouer des survivants pendant une épidémie mondiale. Tous ces scénarios noirs ne sortent pas de nulle part, tout est lié au contexte, l’espoir d’un avenir radieux pour l’humain s’éloigne de plus en plus et permet aux imaginaires les plus sombres de naître. L’optimisme des 30 glorieuses laisse maintenant place au pessimisme du 21e siècle.