L’éco-anxiété ou l’angoisse du colibri

Véritable enjeu dans de nombreux débats, l’écologie ne cesse de faire couler de l’encre. Dans le domaine de la santé et du bien-être, elle occupe également une place considérable.

Un jour, dit la légende …

La fable du colibri, légende amérindienne, a été maintes fois reprise pour parler d’écologie, notamment par Pierre Rabhi qui en fait la clé de voûte de son association Colibris, fondée en 2007. Ce mouvement vise à promouvoir et encourager un « mode de vie écologique et solidaire ».

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »

Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

Entre la fonte des glaces, les incendies, la pollution ou encore le réchauffement climatique, le colibri a le tournis, se rend malade et ne sait plus où donner de la tête. Le colibri souffre d’éco-anxiété. Cette souffrance psychique vient d’une grande lucidité quant à la dégradation du climat et de la biodiversité. Cette angoisse liée à la situation écologique actuelle n’est pas un mythe. Stress, cauchemars et questionnements permanents sur l’impact écologique de leurs actes rythment la vie de ces personnes souffrant de ce mal, encore bien trop souvent tabou ou non reconnu. Quel monde allons-nous laisser aux générations futures ? Si certains redoublent d’efforts pour faire leur part, d’autres s’épuisent et se découragent. À quoi bon ? L’espoir et l’enthousiasme qu’avaient insufflé Pierre Rabhi et son colibri semblent bien lointains.

Ces climato-déprimés, impuissants devant la dégradation de l’environnement, ne sont pas simplement anxieux, ils peuvent tout aussi bien faire face à une colère ou une tristesse écologique. Greta Thunberg, maintenant grande activiste engagée pour notre planète, raconte dans un article du New York Times, qu’après avoir visionné un reportage sur les ours polaires et leur futur fait majoritairement de plastique, elle s’est sentie « très touchée » et « a commencé à y penser tout le temps et à devenir très triste ». Elle ne pouvait plus enlever ces images de son esprit. Pour la plupart de ces anxieux, comme ce fut le cas pour Greta Thunberg, il aura suffi d’un évènement pour faire déborder leur vase déjà bien trop rempli de questions environnementales sans réponse. Dr. Alice Desbiolles, auteure de L’éco anxiété, vivre sereinement dans un monde abîmé, publié aux éditions Fayard en septembre dernier, explique dans une interview pour le journal Le Monde que « l’élément déclencheur de leurs angoisses est principalement une information, une actualité sur le changement climatique. De là va s’amorcer un questionnement, une forme de prise de conscience qui va conduire à identifier de plus en plus de problèmes et leur interconnexion. »

“Une surproduction alliée à une surconsommation” (crédit photo : Ralf Vetterle/Pixabay)
Mais qui sont ces éco-anxieux ?

« 63 % [de la population agée de plus de 18 ans] pensent que, d’ici 10 ans, l’état de la planète se sera détérioré. »

Sondage IFOP, décembre 2019

Eh bien, il s’agit peut-être de votre voisin, de votre banquier, de votre épicier, votre fille ou bien même vous. Dans un sondage IFOP pour CNews et Sudradio datant de 2018, les chiffres montraient que 93 % des 18-24 ans étaient inquiets en pensant au réchauffement climatique. Il semblerait également que les femmes soient plus sensibles aux questions environnementales. Dans un second sondage IFOP réalisé pour Agir pour l’Environnement en 2019, les citoyens sont considérés comme les acteurs les plus à même d’agir efficacement contre le réchauffement climatique, suivi par l’État et les collectivités locales pour les plus de 65 ans contre l’État et l’Union européenne pour les 18-24 ans. Ces sondages sont représentatifs de l’inquiétude qu’éprouvent les Français face au manque d’engagement gouvernemental vis-à-vis de l’écologie. En effet, sur une échelle de 0 à 10 (10 étant très efficace et 0 très inefficace), l’action du gouvernement en matière d’écologie atteint difficilement la moyenne de 4,4 (74 % des notes étant comprises entre 0 et 5). De plus, 63 % pensent que, d’ici 10 ans, l’état de la planète se sera détérioré.

En 2020, où en sommes-nous ?

L’année 2020 pourrait bien cristalliser cette idée d’éco-anxiété. Le monde est plongé au cœur d’une pandémie internationale. Est-ce un moyen que la Terre a trouvé pour nous dire qu’elle allait mal ?

Le 22 août 2020 marquait le jour du dépassement, ou Overshoot Day en anglais. Il correspond au jour où le genre humain a épuisé l’ensemble des ressources que notre planète peut générer annuellement. Que faire des quatre mois restants ? Nous vivons actuellement à crédit. La pandémie de Covid-19 que nous traversons depuis bientôt un an a permis à un grand nombre de gens de se rendre compte, ou de confirmer, qu’un véritable problème écologique existait.

Cette année, et cette année seulement, la date du dépassement a reculé de trois semaines, ce qui est majoritairement dû à la crise sanitaire, les confinements ayant ralenti la consommation d’énergies fossiles. Une étude montre qu’en avril 2020, les émissions journalières de CO2 avaient diminué de 17 % par rapport à l’année 2019. Cependant, attention, ces trois semaines de marge ne sont pas signe de révolution verte, bien au contraire. Un véritable paradoxe est en train de se créer. Alors que partout sur Internet nous pouvons lire les effets bénéfiques de ces confinements et de cette crise sur l’environnement, notamment les nombreuses vidéos d’animaux sauvages revenus dans les villes, l’éco-anxiété grimpe en flèche. En effet, pour beaucoup, ces bénéfices auraient une date d’expiration et ne seraient que le synonyme d’une dégradation massive dans un futur proche. Une surproduction alliée à une surconsommation pour pallier les pertes économiques engendrées par la crise covidienne. 

Allez, action !

Des insomnies à la dépression, en passant par la frustration, un sentiment d’impuissance face aux gouvernements et au manque de mobilisation, ou un désir de ne pas avoir d’enfant pour les plus jeunes, l’éco-anxiété peut se manifester de bien des manières. Non prise en compte, cette angoisse peut se transformer en inaction ou en passivité écologique. Mais bien au contraire, elle peut aussi mener à de grands changements. Les scientifiques et chercheurs s’accordent pour dire qu’une fois que toutes ces émotions ont été reconnues et acceptées et après cette période de prise de conscience, la meilleure thérapie résiderait dans l’engagement et la prise d’initiatives. L’action collective et le pouvoir de masse sont aujourd’hui plus que jamais indispensables.

“La meilleure thérapie résiderait dans l’engagement et la prise d’initiatives” (crédit photo : Anastasia Gepp/Pixabay)

Chaque geste compte et a un impact, mais pas de panique, chacun avance à son propre rythme dans sa prise de conscience. Certains jours seront plus difficiles que d’autres et certaines émotions plus compliquées à rationaliser, mais souvenez-vous toujours de ce colibri qui, au milieu des géants, faisait sa part !

Pour plus d’informations sur l’éco-anxiété et la prise d’initiatives au quotidien

L’éco-anxiété ne passera pas par moi, conseils pratiques pour une écologie sereine, Elise Rousseau, éd. Delachaux et Niestlé, 2020

L’éco-anxiété, vivre sereinement dans un monde abîmé, Alice Desbiolles, éd. Fayard, 2020

Le site https://www.footprintcalculator.org (disponible, entre autres, en anglais et en français) propose de calculer son jour personnel du dépassement afin de mieux comprendre son impact écologique et propose des pistes pour contribuer et s’engager dans la lutte contre la crise environnementale.

Sources

«  Les personnes éco-anxieuses sont lucides dans un monde qui ne l’est pas », A. Desbiolles, Le Monde, 10 octobre 2020. Consulté le 3 novembre 2020

« Mouvement Colibris », Mouvement Colibris. Consulté le 3 novembre 2020

« Le Jour du dépassement », WWF France, 2020. Consulté le 3 novembre 2020

« Becoming Greta: ‘Invisible Girl’ to Global Climate Activist, With Bumps Along the Way (Published 2019) », S. Sengupta, The New York Times, 18 février 2019. Consulté le 3 novembre 2020

« Balise d’opinion #42. Les Français et le réchauffement climatique », sondage IFOP-Fiducial pour CNews et SudRadio, octobre 2018

« Les Français et l’environnement, vague 1 », sondage IFOP pour Agir pour l’Environnement, décembre 2019

« Temporary reduction in daily global CO2 emissions during COVID-19 forced confinement », C. Le Quéré, R.B. Jackson, M.W. Jones et al., Nature Climate Change, 19 mai 2020. Consulté le 3 novembre 2020

Citer cet article : Marilou Poupin, "L’éco-anxiété ou l’angoisse du colibri," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 2 décembre 2020, https://eua.hypotheses.org/4523.

Auteur/autrice : Marilou Poupin

Diplômée d'une licence Langues et Littératures des Civilisations Étrangères et Régionales (parcours Anglais) en 2018. Actuellement étudiante en Master 2 Théâtre(s) et Cultures Anglophones Contemporains à Avignon Université, avec pour sujet de mémoire de recherche la littérature digitale et les hypertextes de fiction.

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