Visiter un musée en réalité virtuelle : la cachette d’Anne Frank

Peut-on visiter virtuellement un musée à l’autre bout du monde tout en restant chez soi ? Il y a encore une dizaine d’années, il était difficile d’imaginer qu’une immersion complète avec des outils numériques soit possible. Pourtant, avec l’essor de la réalité virtuelle, les musées peuvent offrir des expériences inédites aux visiteurs et même s’inviter dans leur salon…

Réalité virtuelle et utilisation muséale

Utiliser la réalité virtuelle en contexte muséal

La réalité virtuelle, communément appelée VR (abréviation de l’anglais Virtual Reality) est un domaine en pleine expansion. Les institutions culturelles ont perçu le potentiel qu’offrait l’utilisation d’un casque immersif avec des manettes sensorielles. Elle renouvelle les possibilités de médiation et peut aider au développement ou à l’accessibilité d’un site.

La VR répond aux besoins des expositions « analogiques », tournées vers la mise en scène et le jeu sur les sens pour davantage immerger le visiteur. Au-delà du fait qu’en 360° « la réalité virtuelle déploie un sentiment de présence véritable1 » selon Susanne Beer, cette réalité joue parfois sur les mêmes éléments sensoriels que dans les « musées réels » tels que l’ouïe, la vue, le toucher.

Ce rapport entre réalité virtuelle et institutions muséales existe depuis les années 1990 avec l’apparition de dispositifs numériques dans les musées. Il interroge quant à la réelle complémentarité des contenus numériques proposés. Sont-ils de pâles copies des institutions muséales ? Ces technologies semblent parfois éloigner les institutions de leur visée initiale : c’est-à-dire l’émancipation par l’apprentissage et l’interaction avec des savoirs ou collections. Toutefois, les expériences virtuelles peuvent marquer plus durablement les visiteurs. Dans ce cas, c’est un moyen de médiation supplémentaire pour permettre aux musées d’atteindre leurs objectifs. C’est dans cette optique que le Louvre, à travers une « salle d’expérience », a proposé un tête à tête virtuel avec la Joconde, impossible dans la réalité. Celle-ci s’insère dans l’expérience de la visite, bien que le contenu virtuel puisse être accessible aussi à l’extérieur du musée, en complément de l’exposition.


Présentation du dispositif de réalité virtuelle du Louvre autour de La Joconde

Visiter un musée depuis son salon ?

La VR développe aussi les possibilités de visites virtuelles pour découvrir les musées depuis chez soi. Ce système repose sur les vidéos ou parcours de visites déjà existants sur ordinateurs où l’exposition a été numérisée en 3D. Le contexte sanitaire a permis la démocratisation de ce genre de visites virtuelles, proposées par les musées sur divers types de supports numériques. Ce type de visite, permettant l’exploration d’une exposition existante numérisée en 3D, est souvent proposée dans les casques de VR. Avec le casque, il est possible de visionner une vidéo YouTube en 360° où l’on est mené par le mouvement de la caméra dans la scénographie du musée. Ce contenu ne donne pas au visiteur la liberté de se « mouvoir » dans cet espace à sa guise. Comme très souvent avec les visites en réalité virtuelle, elles sont aussi disponibles par le biais d’ordinateurs, pour être accessible au plus grand nombre. Le Met (Metropolitan Museum of Art) propose une série de courtes vidéos qui explore les différents espaces du musée en 360° à travers The Met 360° Project. Sur ordinateur, la souris et l’écran remplacent les manettes et le casque.

Vidéo présentant le hall principal du MET

Certains musées font le choix de présenter de façon plus interactive les visites, en développant des applications qui permettent de se déplacer soi-même dans les lieux et d’interagir avec les cartels ou les œuvres numérisées en 3D. C’est le cas de la maison d’Anne Frank.

Visiter la cachette d’Anne Frank en réalité virtuelle

The Anne Frank House online

L’Annexe d’Anne Frank, lieu dans lequel elle s’est cachée pendant la guerre, est transformée en musée à Amsterdam après le retour des camps d’Otto Frank, son père. Ce musée n’est cependant pas meublé suite au souhait d’Otto de garder l’Annexe telle qu’elle a été retrouvée après la guerre, bien que l’endroit ait été restauré. La visite en réalité virtuelle de la maison d’Anne Frank fait partie d’un projet bien plus large : The Anne Frank House online2. Ce projet vise à rendre accessible le contenu du musée dans des formats numériques qui complètent la visite. Les services proposés sont divers, comme par exemple une série de fictions proposées sur YouTube, dans lesquelles il est imaginé qu’au lieu d’un écrit, le journal d’Anne est une vidéo ; ou encore la vue en 360° avec Google Street Views de la maison de la famille Frank, inaccessible au public à Amsterdam. Il y a aussi des expositions en ligne racontant l’histoire d’Anne sur Google Arts and Culture, dont une qui explique la raison de l’absence de meubles. Les meubles de l’Annexe sont seulement visibles en ligne, dans un décor reconstitué en studio pour ressembler à celle de l’époque. Cette reconstitution a servi aussi bien à la série de fictions sur YouTube qu’aux deux visites virtuelles : l’une sur le site internet3 du musée et l’autre dans une application pour casques VR. Les deux contenus sont similaires bien que la visite en ligne présente les informations différemment, en proposant notamment des vidéos complémentaires.


Vidéo qui promeut la visite en réalité virtuelle de l’Annexe

Visiter l’Annexe de 1942

L’expérience de visite en VR est un contenu complémentaire à la visite du musée, rendu accessible à l’occasion du 89e anniversaire de la naissance d’Anne Frank, en 2018. L’expérience dure environ 25 minutes. Avant la visite, une mise en contexte est proposée sous forme de film documentaire sur l’histoire de la famille Frank, s’appuyant sur des images d’archives. Le parcours dans l’Annexe en lui-même est dans un décor reconstitué en 3D, comme dans les visites virtuelles interactives en ligne. Sur les deux options de visite proposées, le mode narration est obligatoire pour ensuite accéder, si on le souhaite, au mode d’exploration libre des pièces. Cela oblige le visiteur à d’abord comprendre ce qu’on lui présente. Au fur et à mesure qu’on se déplace dans l’Annexe (en cliquant sur l’endroit où on veut aller), on entend et voit des citations du journal d’Anne Frank en rapport avec les lieux traversés.

On peut interagir avec des éléments pointés par une main bleue, et la prise en main de l’objet déclenche d’autres citations du journal. À tout moment, une maquette 3D permet de visualiser sa position dans l’Annexe et de se rendre dans une salle spécifique.

Par rapport à la visite en ligne, la VR propose une activité sensori-motrice et cognitive plus développée. L’immersion spatiale est plus poussée, puisque le visiteur peut plus facilement évoluer dans son environnement, s’approcher à sa guise au plus près des décors. S’ajoute aussi l’immersion auditive. Tout au long de la visite, des bruits, de pas, d’avions ou encore d’eau, nous assaillent, nous donnant l’impression de visiter l’Annexe avec Anne, dont on entend la voix basse dans chaque pièce.

Toutefois les éléments d’interactions avec l’environnement sont restreints et la vibration des manettes aurait pu apporter un élément d’immersion supplémentaire en donnant l’impression de réellement toucher l’objet.

Avec la visite en VR de l’Annexe, le musée Anne Frank est dans la continuité des autres contenus numériques qui cherchent à nous plonger dans l’univers d’Anne et nous mettre à sa place. La visite virtuelle renforce cet objectif. Cette immersion, qualifiée de perceptuelle par Suzanne Beer, donne un sentiment d’immédiateté comme dans la réalité. Elle permet aussi une immersion psychologique puisque les visiteurs s’investissent dans l’histoire d’Anne et se mettent à sa place.

Un dispositif pertinent ?

La visite ne se substitue pas au musée réel mais elle le complète. Après avoir sensibilisé les visiteurs à l’histoire d’Anne Frank, la visite raconte la fin de sa vie, après son arrestation. A la fin de la visite quelques citations du livre d’or du musée sont proposées, montrant l’impact du musée d’Amsterdam sur ses visiteurs. Cette partie incite à visiter le musée, pour s’imprégner davantage de l’histoire tragique d’Anne Frank.

Cette expérience en VR aurait pu être encore plus immersive, avec plus d’interactivité par rapport à l’environnement dans lequel le visiteur est plongé. Toutefois, elle répond aux objectifs du musée : plonger les visiteurs dans la peau d’une famille juive cachée en 1942 pour sensibiliser au génocide des juifs de la Seconde Guerre mondiale. En cela, la VR est un support très pertinent pour le projet du musée. Comme l’explique Suzanne Beer, « l’expérience muséale en RV4 est censée abattre les murs temporels et spatiaux, faire surgir un réel inaccessible dans le virtuel5 ». Si la visite en réalité virtuelle de l’Annexe semble se suffire à elle-même, elle incite en réalité à explorer un ensemble de ressources numériques consacrées à l’histoire d’Anne Frank. Leur but est de déclencher, par l’immersion et l’émotion, un investissement actif des visiteurs plus enclins à recevoir les différents savoirs proposés par le musée.

Pour aller plus loin :

Beer Suzanne et Tramus Marie-Hélène (préface), Musées virtuels & réalités muséales, Paris, L’Harmattan, 2020, 128 p.

Citer cet article : Mathilde Lacombe, "Visiter un musée en réalité virtuelle : la cachette d’Anne Frank," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 7 décembre 2021, https://eua.hypotheses.org/5697.

  1. Suzanne Beer, Musées virtuels & réalités muséales, Paris, L’Harmattan, 2020, p. 11. []
  2. Accessible à cette adresse : https://www.annefrank.org/en/museum/web-and-digital/ []
  3. Accessible à cette adresse : https://www.annefrank.org/en/anne-frank/secret-annex/ []
  4. Autre abréviation pour « Réalité Virtuelle ». []
  5. Suzanne Beer, Musées virtuels & réalités muséales, Paris, L’Harmattan, 2020, p. 50. []

Auteur/autrice : Mathilde Lacombe

Mathilde Lacombe est étudiante en deuxième année du master Patrimoines et Cultures Numériques d’Avignon. Elle s’intéresse particulièrement aux nouvelles technologies ainsi qu’aux innovations numériques et aime analyser leur impact sur les institutions culturelles.

2 réflexions sur « Visiter un musée en réalité virtuelle : la cachette d’Anne Frank »

  1. Merci beaucoup pour cet article très instructif. En effet le progrès technologique nous permet Aujourd’hui de découvrir Hier différemment !!

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