La protection du patrimoine en temps de guerre : le dépôt du château de Valençay (1939-1946)

Aujourd’hui des musées sont saccagés et des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’humanité détruits par Daesh en Syrie et en Irak. Le retour des Talibans en Afghanistan laisse présager le pire pour le patrimoine afghan. Nous avons tous en tête la destruction à l’explosif des Bouddhas de Bâmiyân en mars 2001. Qu’est-il possible de faire pour protéger l’histoire de l’humanité face à la guerre et la destruction ? Qu’est-ce qui a pu être fait par le passé pour mettre en œuvre une protection efficace ? Nous allons voir le cas des dépôts d’œuvres d’art en France lors de l’occupation de la France au cours la Seconde Guerre mondiale. Avec l’exemple du château de Valençay, l’un des principaux dépôts entre 1939 et 1946

La stratégie établie par les Musées de France

La France voyant la tournure que prend l’Europe dans les années 30 avec la montée du fascisme, du nazisme et le début de la guerre civile espagnole, choisit dès 1936, 11 sites jugés sûrs en cas de conflits. Le château de Valençay en fait partie, il est loin des points stratégiques, entouré de forêts et champs donc à l’abri de dégâts collatéraux lors de bombardement. Il dispose de grandes salles pour accueillir des œuvres ou des caisses. Il permet aussi d’accueillir un personnel assez important pour gérer le dépôt.

Château de Valençay, photographie par Paul PIQUEMAL SOULATA. Licence CC BY-SA

On peut retrouver aussi la mention du titre du prince de Sagan du propriétaire du château, Archambault Boson de Talleyrand-Périgord, pour le choix. C’est à nuancer bien que le titre ait pu aider lors des tractations d’août 1944 avec l’armée allemande. Les Musées de France préparent minutieusement le déplacement possible de toutes les œuvres du Louvre, mais aussi le musée d’Art moderne ou d’Art décoratif par exemple. Le but étant de mettre à l’abri rapidement les possessions notamment du Louvre et d’en garantir la sécurité au cours d’un conflit. La réquisition officielle du dépôt de Valençay date du 22 mars 1939, elle dicte l’utilisation des différentes pièces du château. Le grand salon, la galerie du rez-de-chaussée, les sous-sols, le coffre-fort et la remise dans les dépendances peuvent être utilisés comme lieu de dépôt des œuvres d’art.

Le 25 août 1939 au soir, suite aux tensions grandissantes qui découlent du pacte germano-soviétique, la guerre est inévitable. Édouard Daladier effectue un discours qui acte dans l’esprit des Français l’imminence d’une nouvelle guerre en Europe. À la suite du Discours, le Louvre ferme ses portes et tout le personnel s’organise pour préparer l’évacuation des œuvres du Louvre. Elles sont emballées avec toutes les précautions nécessaires, puis sont mises dans des caisses. Ces dernières possèdent des inscriptions codées que seuls les conservateurs peuvent décrypter. Une logistique immense est mise en place pour déplacer des milliers de caisses du musée du Louvre vers les sites sécurisés. Le premier convoi part pour Chambord avec les œuvres les plus importantes le 28 août 1939, chaque convoi est accompagné par un conservateur.

Il est à noter que la guerre n’a toujours pas commencé. Dans la première semaine, la moitié du déménagement est effectué. L’épisode de la « Drôle de Guerre » permet de gagner du temps et de finaliser le transport des œuvres. Par exemple la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo sont acheminées à Valençay entre le 2 et 3 octobre. Le Code de Hammurabi qui fait plus de 4 mètres de haut (dans sa boite) finira au Château de Valençay, car il ne passait pas les portes du Château de Cheverny. Avec la préparation depuis 1936 le déplacement s’est fait sans pertes ni dégradations des œuvres.

La Victoire de Samothrace, Paris, musée du Louvre. MA2369. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Ollivier.
Stèle du Code de lois de Hammurabi
Vers 1792-1750 av J.-C., Paris, musée du Louvre. SB8. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux.

Une grande diversité d’objets aux provenances diverses au cœur des préoccupations de conservation

Il serait faux de dire que seul le Louvre a bénéficié de ce traitement. Bien qu’en tant que plus grand musée de France, il soit celui qui a fourni le plus de collections. Les œuvres de plusieurs autres musées et même de collections privées ont pu être mises en sécurité. Par exemple, le château de Valençay a accueilli des œuvres du Musée de Fontainebleau, du Musée d’art moderne ou encore du Musée de Cluny. Concernant les collections privées, on peut noter celles de Georges Salles de David-Weil ou du président Sarraut par exemple. Il faut savoir qu’à l’échelle de la France à la fin de l’année 1943 il y a 44 dépôts qui abritent chacun des milliers d’œuvres. Avec 1084 caisses, le Château de Valençay fait partie des dépôts les plus importants.

On retrouve déposés au château des sculptures, des peintures, des bronzes, de la faïence, du mobilier, des objets d’orfèvrerie, de la céramique et aussi des artefacts. Les pièces les plus importantes présentes dans ce dépôt sont la Victoire de Samothrace, la Vénus de Milo, le Cavalier Rampin, la Dame d’Auxerre, une frise du Parthénon, la Supliante Barberini, Les Esclaves de Michel Ange ou encore le Cardinal Richelieu de Bernin. Dans le coffre-fort se trouvent les plus belles pièces de la Galerie d’Apollon du Louvre, avec le rubis Côte de Bretagne, le Régent, la Couronne de Louis XV et la Bague de Saint-Louis. On y retrouve aussi 3 des neuf couronnes votives des rois Wisigoths datant du VIIe siècle et provenant du Musée de Cluny.

Couronne de Louis XV dite Couronne personnelle de Louis XV, Duflot Augustin (1715-1774). Paris, musée du Louvre. MS61. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola.
 Les couronnes votives de Guarrazar (Cl. 2879, Cl. 2885, Cl. 3211), Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Pour assurer la conservation de tout cela, se succèdent différents conservateurs, Carle Dreyfus qui est obligé de démissionner suite aux lois d’octobre 1940. Gérald Van der Kemp prend la suite jusqu’en 1944 puis Maurice Sérullas et enfin Georges Salles seront les conservateurs du Château au cours de cette période compliquée. Des gardes ainsi que des personnels ou des conservateurs de passages sont logés dans les dépendances ou dans le château lui-même. Les caisses sont régulièrement sondées afin de vérifier s’il n’y a pas de danger pour les œuvres. Les différents conservateurs extérieurs qui passent relèvent la bonne tenue du dépôt. Seul le danger d’incendie fait peur, c’est pour cela que le dépôt se dote notamment de motopompes en prévision d’un éventuel départ d’incendie.

Que pense l’occupant allemand de ces dépôts ?

Les Allemands sont au courant de la présence des dépôts, aussi bien en zone libre qu’en zone occupée, mais ils vont laisser faire. Le gouvernement allemand poussé par Metternich qui dirige en juin 1942 le Kunstchutz, veut respecter la Convention de La Haye de 1907 et aide à la protection des œuvres. Les dépôts de la zone occupée sont placés sous protection militaire. De plus, plusieurs membres du gouvernement souhaitent ne pas piller les collections afin de montrer que l’occupant n’est pas un barbare. Et dans l’optique d’une occupation longue il faut éviter d’augmenter l’animosité entre Français et Allemand.

Août 1944, le moment ou le dépôt de Valençay a failli disparaître

Les Allemands reculent partout, ils doivent partir en catastrophe non sans causer le chaos. On se souvient malheureusement de la division SS Das Reich. De manière moins radicale, mais tout aussi violente et sanglante, le 16 août 1944 débarquent dans la ville de valençay 400 soldats et officiers allemands. Les ordres sont d’incendier les habitations et d’interdire aux habitants d’éteindre les feux. Ceux sont des représailles après un affrontements le 10 août qui a vu de nombreuses pertes allemandes. À 16h, une cinquantaine de SS pénètre dans le domaine du Château avec pour objectif de faire subir à celui-ci le même sort que la ville. Monsieur Beau, fils de membres du personnel nous racontera ce qu’il s’est passé.

« Tous les hommes trouvés dans les cours avaient été rassemblés sur la pelouse de droite, près de la grille du jardin français. Tous furent contraints de s’allonger par terre. Seuls Monsieur Van der Kemp, le duc de Valençay et Monsieur Moser, le vacher du château qui servait d’interprète, furent autorisés à rester debout pour parler avec les officiers allemands responsables de l’opération de ratissage. C’est à ce moment que Monsieur Van der Kemp, appuyé par le duc de Valençay, parvient à faire jouer la corde sensible, en insistant sur la honte et l’opprobre qui couvriraient l’Allemagne si la tentation de brûler le château et ses dépendances était mise à exécution. Double jeu subtil de la part du chef de dépôt, le duc avançant pour sa part sa principauté de Sagan. »

FP A.Beau 3-21, lettre d’André Beau à Michel Rayssac, 30 juillet 1999.

Le Château sera finalement épargné sans que l’on sache vraiment ce qui a fait renoncer les Allemands.

La question du retour des œuvres et le bilan

Il faut attendre la capitulation de l’Allemagne pour que tout le monde se penche sur la question. Le 31 mai 1945 se tient une réunion au Palais du Louvre sous la présidence de Georges Salles, afin de préparer le rapatriement des œuvres dans les plus brefs délais. Première à partir, la Victoire de Samothrace quitte le château le 14 juin 1945. Son retour est attendu en « grande pompe » au Louvre, car c’est un retour symbolique et un symbole de la renaissance du Musée du Louvre.

Le 7 mars 1946, les dernières caisses quittent Valençay. Les collections privées sont rendues à leurs propriétaires respectifs. Pour les Musées de France, c’est une réussite totale. Le patrimoine national a été protégé, la totalité des œuvres déplacées sont revenues sans encombres. Le travail effectué par les conservateurs dans les différents dépôts comme celui de Valençay afin de protéger et sécuriser de la meilleure façon possible toutes ces œuvres a permis au plan de réussir. Malgré des épisodes comme août 1944 ou la catastrophe a été évitée de très peu, cette stratégie a porté ses fruits. Il ne faut pas oublier que l’occupant allemand a joué le jeu de manière générale et n’a pas empêché la réussite du plan. Cela à beaucoup compté dans le résultat final, car un pillage ou une destruction avec de telles concentrations d’œuvres était pourtant chose aisée à réaliser. Cette histoire est celle d’une réussite permise par une préparation minutieuse et un respect de l’ennemi pour le patrimoine.

Pour plus d’informations :

Pour en savoir plus sur cet évènement ainsi que le château de Valençay et son histoire, vous pouvez consulter le site internet suivant :

https://www.chateau-valencay.fr/savoirs/savoirs/

Citer cet article : Paul Piquemal Soulata, "La protection du patrimoine en temps de guerre : le dépôt du château de Valençay (1939-1946)," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 14 décembre 2021, https://eua.hypotheses.org/5986.

Auteur/autrice : Paul Piquemal Soulata

Étudiant en Master 2 Patrimoines et Cultures Numériques à l’Université d’Avignon. Titulaire d'une licence d'histoire et animé par la volonté de protéger notre patrimoine. Cette ambition me guide pour transmettre celui-ci aux générations futures

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