Le Roller-Derby : la reconquête féminine dans le sport de contact

Un sport largement dominé par des femmes qui, dans l’imaginaire collectif, sont vues comme talentueuses, brutales et sans peur ? Vous l’avez compris, nous allons parler de Roller Derby. En enlevant toutes les exigences sociétales qui pèsent sur elles, ces femmes arrivent à prendre le contrôle d’un sport de contact qui fait son grand retour depuis le début des années 2000.

Le commencement

L’histoire du Roller Derby est assez dense. Nous pouvons aisément la faire démarrer à la création des patins à roulettes vers les années 1760 par le Belge John Joseph Merlin. Cependant, nous allons seulement en proposer un condensé. C’est dans les années 1880 que la pratique de courses en roller quad va être mise au goût du jour. Au départ, ces courses sont mixtes et seulement basées sur l’endurance des candidat.e.s. Le terme de « derby » n’apparaît que 40 ans plus tard, en 1922, dans un article du Chicago Daily Tribune. Ce sport commence à être apprécié du public, notamment grâce aux légers débordements durant les épreuves. Effectivement, les coups que se donnent les joueurs et joueuses sur la piste animent et embrasent le public. Par la suite, des tournois intervilles sont organisés sous l’impulsion de l’Américain Leo Seltzer, un publicitaire et propriétaire de nombreux théâtres. Ces derniers durent parfois plusieurs jours. Autour du lancement de ces tournois, Leo Seltzer va avoir une idée novatrice pour le sport de l’époque : il va y inclure de plus en plus de femmes. L’idée pour lui, en tant que publicitaire, est d’ouvrir le sport à de nouvelles joueuses pour amener un nouveau public. Durant les années suivantes, ce sont les différentes émissions télévisées qui vont générer la popularité de ce sport. Le roller est alors bien plus violent qu’aujourd’hui. Paradoxalement, alors que c’est ce qui avait attiré des curieux dans un premier temps, c’est cet aspect qui va lui faire perdre du public dans les années 1980.

“_1050220”par jeangui111 est sous licence CC BY 2.0

Il faut attendre les années 2000 pour voir la reconquête de ce sport, aux États-Unis dans un premier temps. C’est notamment grâce au film Whip it! (2009) que cette vocation va naître dans le cœur de centaines de futures joueuses. Avant ça, la création de la WFTDA (Women’s Flat Track Derby Association) en 2004 aide aussi à la coalition des futures leagues à travers le monde. On compte actuellement selon leurs sources 452 leagues sur 6 continents. Cette association régit les règles, le classement mondial et apporte son aide pour toutes les ressources liées au Roller Derby. Le but étant de faire évoluer ce sport de la manière la plus autonome et moderne possible. Afin d’être plus précis, voici un point sur le jeu en lui-même. Les règles de bases sont assez simples : 2 équipes sur le terrain, 5 joueurs par équipe, 1 « Jameuse » (avec l’étoile sur le casque) et 4 bloqueuses. Le but : la « Jameuse » doit passer le maximum de Bloqueuses adverses possible avant l’arrêt du Jam (manche) de maximum 2 minutes. Il se déroule durant 60 minutes : deux fois 30 minutes au cours desquelles autant de Jam que possible sont joués. Ce vif condensé des règles ne reflète pas la réalité des 80 pages à connaître pour jouer en match.

En France, il faut attendre les années 2010 pour voir la première vague de clubs arriver. Les Rabbit Skull (l’équipe avignonnaise) sont créées dans cette mouvance en 2012. Les joueuses remarquent d’ailleurs une recrudescence au cours des deux dernières années. Est-ce dû aux séries telles que « Derby Girl » ou aux émissions consacrées à ce sport? Elles ne peuvent pas l’affirmer, mais on peut noter que toute publicité est bonne pour la visibilité sportive. 

La reconquête féminine dans les sports de contact

Si le Roller Derby comprend des équipes masculines ou mixtes depuis quelques années, la domination féminine y est écrasante. C’est le sport de contact ou les femmes s’illustrent le plus. Dans l’univers sportif général, les inégalités font rage. Qu’elles soient sur les salaires des joueuses, la médiatisation, la notoriété par rapport aux hommes, les femmes sportives sont clairement en manque de reconnaissance pour leurs performances. Si les chiffres des fédérations vont dans ce sens, le Roller Derby vient rouler sur les idées reçues et mettre les femmes au centre. Dans ce sport, l’association féminine WFDTA a encouragé la création de l’association masculine MRDA (Men Roller Derby Association) et non l’inverse. La MRDA compte actuellement 65 leagues. Tous les clubs de derby français ne font pas partie d’une de ces associations. Le cahier des charges de la WFTDA peut être assez contraignant pour certaines équipes.

Un des aspects importants de ce sport, c’est l’aspect « home made » ou « Do it yourself ». Il est créé pour les joueuses par les joueuses. Les clubs sont gérés en grande partie par ces dernières, tout comme les nombreux juges présents sur les tournois. Les logos, le numérique, la visibilité, les sponsors, les entraînements et tout ce qui est rattaché au sport de près ou de loin sont gérés par les joueuses. Les clubs contrôlent leur image à la source. Cette gestion, propre à ce sport, permet à des femmes de s’illustrer dans ce dernier mais aussi, dans d’autres domaines. Elles sont maîtresses de leur sport et de leur visibilité. C’est un point essentiel puisque ce n’est absolument pas le cas de la grande majorité des autres sports. En effet, les fédérations sont maintenant largement politisées. Elles laissent aux gestionnaires actifs, souvent des hommes, le choix des directives que le sport va prendre parfois même aux dépens et contre l’avis des licencié.e.s.

Une « image de marque »

La publicité  éloigne la vision d’une femme sportive. Selon le CSA dans un article datant de 2017, l’hyper sexualisation féminine est encore présente dans 67% des cas dans les images  publicitaires. Sans muscle, exhibant une minceur parfois extrême, et un visage juvénile, elles ne reflètent pas le corps de toutes les sportives et athlètes du haut niveau.

Le Roller Derby prône a contrario un “body positivisme” important. Même si ce terme est devenu une image de marketing depuis quelques années avec les réseaux sociaux, ce sport reste un des piliers de ce concept. Les femmes qui le pratiquent sont parfois très éloignées de la version publicitaire « féminine » imposée par la société. Tous les corps et tous les âges sont en capacité de faire du sport à un bon niveau. De plus une fois sur le « Track », c’est une nouvelle identité que les joueuses arborent. Le « derby name » fait partie intégrante du sport. Un nom parfois sanglant, hardcore, drôle ou autre, tout est accepté tant que la joueuse le porte fièrement. En France, les noms sont souvent moins « hardcore » qu’ailleurs, les jeux de mots sont plus présents et parfois très subtils. En plus du derby name, le look est très important. Encore une fois très éloignée de l’idée qu’on se fait de l’athlète féminine : peinture de guerre et autres accessoires sont autorisés pour être en totale adéquation avec son personnage. Pourtant, tout cet aspect doit être fortement nuancé. En parlant avec les joueurs et joueuses des Rabbits Skulls, on peut admettre que le sport est en train d’évoluer. Des joueuses se rappellent : « au début, les matchs ressemblaient parfois à des représentations ou l’atout était aussi le costume et les accessoires ». Elles voient depuis quelques années la professionnalisation entrer dans le domaine. Il n’est plus exactement question de tutu et de paillette en match, mais de vivre son sport de manière plus professionnelle sans le spectacle.

Ce sport aussi intéressant qu’inclusif sportivement et humainement est le cœur de la révolte féminine dans le sport de contact. Pourtant, ce sport tend à se professionnaliser et donc à perdre cet aspect démonstratif qu’il pouvait apporter à ses débuts. Ce sont les femmes, les vraies « stars » des sports de contacts.

Citer cet article : Lola Doche, "Le Roller-Derby : la reconquête féminine dans le sport de contact," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 14 décembre 2021, https://eua.hypotheses.org/6456.

Auteur/autrice : Lola Doche

Actuellement étudiante en Patrimoine et Cultures Numériques à Avignon, je suis passionnée par la culture du sport depuis mon plus jeune âge. Après en avoir testé une multitude tout au long de ma vie, je suis captivée depuis mon arrivée à Avignon pour le Roller Derby. Dans ma carrière professionnelle, j’aimerais me spécialiser dans la régie des œuvres ou dans l’exportation de la culture française à l’étranger.

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