« Akira » un manga historique?

Akira est un manga seinen gekiga (que nous pouvons traduire par « mangas pour jeunes hommes » et « dessins dramatique ») écrit par Katsuhiro Ôtomo et publié de 1982 à 1990. D’après Patrick Gaumer, spécialiste de la bande-dessinée, « il illustre des thèmes chers à l’auteur : l’ultraviolence, le réalisme urbain, la peur de l’engloutissement par les eaux, sans oublier la parapsychologie, omniprésente. ». 

L’histoire nous plonge dans un monde post-apocalyptique où Tokyo a été ravagée par une bombe le 16 juillet 1988, ce qui déclenche une troisième guerre mondiale. Trente ans plus tard, en 2019, la ville s’appelle désormais Neo-Tokyo et est confrontée aux bosozoku, des gangs de motards qui se rebellent contre la société. Tetsuo, l’un d’entre eux, est enlevé par l’armée afin d’en faire le nouvel « Akira », un mutant doté de pouvoirs psychiques et destructeurs. Kaneda, le chef de son groupe, se rallie à des anarchistes afin de détourner les plans de Tetsuo et de l’armée. 

Kaneda’s motorcycle. Photographie : Ishikawa Ken, licence cc by-sa

Dès le premier tome, certains événements et comportements des personnages peuvent faire écho : d’une explosion nucléaire à une troisième guerre mondiale, de complots de l’armée, ou des anarchistes, à des bandes de motards et délinquants,  peut-on dire que « Akira » est un manga intemporel voire historique ? L’auteur imagine la ville en 2019. En 2021, pouvons-nous constater des similarités avec cette époque imaginée trente-sept ans auparavant? 

« Akira » un traumatisme d’ Hiroshima et Nagasaki ? 

Comme indiqué précédemment dans le résumé, le manga imagine un monde dystopique qui a vécu, tout comme le Japon une quarantaine d’années auparavant, une explosion nucléaire, mais aussi une guerre mondiale et un conflit entre la jeunesse japonaise et le gouvernement.

En effet, les villes d’Hiroshima et Nagasaki ont subi l’horreur et les dégâts d’une bombe atomique les 6 et 9 août 1945, ce qui a mis fin à la Seconde guerre mondiale. Traumatismes encore très tabou dans la littérature japonaise, il faut attendre les mangas Enfer de Yoshihiro Tatsumi en 1970 et Gend’Hiroshima de Keiji Nakazawa trois ans plus tard, prépublié dans le magazine « Jump », pour que le sujet soit abordé et mal reçu lors de sa première parution. Ces critiques obligent ainsi la revue à interrompre la publication. 

Les décennies qui suivent voient arriver de nombreux récits post-apocalyptiques. Les personnages doivent faire face à un monde détruit par une catastrophe, souvent avec de lourdes conséquences, comme Nausicaa la vallée du vent de Hayao Miyazaki, écrit et publié de 1982 à 1994, et adapté en film d’animation en 1984. Ici, il est question de guerre, mais aussi d’un poison qui envahit l’air et oblige les protagonistes à porter un masque à gaz. Dans Akira, l’armée rebaptise la capitale Néo-Tokyo et réalise des expériences sur des enfants pour créer des armes encore plus destructrices et capables de régner sur ce « nouveau Tokyo ».  Akira, l’un des enfants mutants et probablement le plus puissant, intéresse autant les religieux que l’armée ou les anarchistes. Il est rapidement considéré comme une divinité. Est-ce par sa puissance ? La peur de reconnaître une nouvelle catastrophe ou de vouloir manipuler cet enfant pour parvenir à ses fins ? Les raisons peuvent être toutes celles-ci à la fois. Il est aussi intéressant de voir dans l’histoire plusieurs points de vue, comme les jeunes délinquants, les anarchistes, l’armée et les cobayes. 

Le Japon dans les années 1980

Les bosozoku, que nous pouvons traduire approximativement par « clan à conduite folle », désignent les gangs de motards japonais souvent âgés de 16 à 20 ans voire plus jeunes. Ils défilaient avec des motos arrangées pour pouvoir faire le plus de bruit possible. Apparus dans les années 1950, leur inspiration viendrait des Etats-Unis. D’après Mickael Lesage, il existe une hiérarchie entre ces clans avec un leader sentōsha, des capitaines et des jeunes recrues. D’après l’article, « Cette provocation constante est l’une des principales raisons qui fait qu’on associe facilement au Japon le terme bosozoku à la délinquance juvénile. ». Ces à priori peuvent se retrouver dès le début dans Akira, où ces jeunes sont présentés comme perturbateurs, sans scrupule et antipathiques. De plus, l’un d’entre eux Tetsuo n’hésite pas à se dresser contre Kaneda, son ami et chef du clan, pour prendre le pouvoir. 

Street Scene, Tokyo, Japan, 1980. Photographie : Terry Terry Feuerborn, licence cc by-nc

Une dystopie de Tokyo

Lorsque Tetsuo est enlevé par l’armée, cette dernière se sert de lui comme cobaye et le fait intégrer un programme réunissant des individus mutants et possédant des pouvoirs hors du commun. Contrairement à certains de ses congénères qui sont représentés comme des “ vieux enfants”, ridés, désespérés voire handicapés pour certains, Tetsuo devient puissant et surtout incontrôlable. Par ailleurs, dans les dystopies, les personnages qui subissent ce type d’expérience sombrent dans la folie, que ce soit par l’envie de devenir un “ dieu”, ou à cause de leurs corps qui ne peuvent contenir autant de nouvelles fonctions. Tetsuo, quant à lui, s’affranchit de ses anciens amis lorsqu’il se rend compte de sa nouvelle force qui le permettrait de régner sur Tokyo, voire sur le monde. 

Il est intéressant de préciser également que les Jeux Olympiques de Tokyo ont bel et bien été programmés en 2020. Les organisateurs ont dû les reporter à cause de la pandémie mondiale Covid-19, mais l’article publié dans le journal “Le Parisien” relève d’autres similitudes avec l’œuvre de Katsuhiro Ôtomo. En effet, “le gouvernement a surnommé Tokyo 2020 les “ jeux de la reconstruction” pour témoigner après la tragédie du séisme et du tsunami de 2011, qui ont aussi provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima.”

Une autre ressemblance avec l’actualité est présente dans l’édition originale du manga en japonais. Une double page de transition entre deux volumes nous montre de faux articles de presse en arrière plan «  l’OMS critique les mesures prises contre le virus ». Lorsque nous parlons de « virus » aujourd’hui, nous pensons directement au virus du Covid- 19, alors que nous n’imaginions pas être en pandémie mondiale il n’y a même pas quelques années. 

Bibliographie/ sitographie

GAUMER,Patrick, « Ōtomo, Katsuhiro », dans Dictionnaire mondial de la BD, Larousse, 2010.

LESAGE Mickael « Bosozoku, la fureur et le bruit des gangs de motards japonais » , journal du Japon, publié le 9 octobre 2020 et mis à jour le 29 décembre 2020

CO. S. avec AFP Le 26 mars 2020 à 11h28, « JO de Tokyo 2020 reportés : le manga culte « Akira » avait-il tout prévu  ? », Le Parisien, publié, 26 mars 2020.

VERTALDI Aurélia, DELCROIX Olivier « Akira, l’onde de choc révolutionnaire de Katsuhiro Otomo » Le Figaro, publié le 20 avril 2016 et mis à jour le 31 juillet 2018.

Citer cet article : Noémie Sirat, "« Akira » un manga historique?," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 17 décembre 2021, https://eua.hypotheses.org/6472.

Auteur/autrice : Noémie Sirat

Originaire de Toulouse, je suis diplômée en licence d’histoire de l’art à l’université Jean Jaurès et effectue aujourd’hui un Master en Patrimoine et Cultures Numériques à l’université d’Avignon. Je suis passionnée par la littérature et l’histoire du Japon et souhaite travailler dans une bibliothèque ou dans un musée dédiée à la Bande-Dessinée et aux mangas.

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