De l’engagement politique à la violence populaire (1789-1851)

Intérieur d'un club en 1848

La Révolution française demeure fortement ancrée dans la mémoire collective ; elle est encore aujourd’hui un sujet sensible de l’Histoire, enclin aux controverses et polémiques. Elle illustre surtout dans l’imaginaire collectif l’éveil politique de tout un peuple jusque-là soumis à l’absolutisme royal ; elle se distingue aussi par des violences populaires et institutionnelles, notamment durant la Terreur (1793-1794). Bien que la réalité historique soit plus subtile, l’essentiel est là : cet événement majeur divise le monde entre les partisans de l’Espérance et ceux de la Peur. 1

L’entre-soi des clubs et sociétés politiques

Il est trop souvent retenu une vision parisienne des événements révolutionnaires, c’est pourquoi différents cas pratiques de la politisation populaire sont abordés ici, plus spécifiquement à Pézenas, petite ville du département de l’Hérault. Éloignés du pouvoir central parisien, les pouvoirs locaux bénéficient au début de la Révolution d’une certaine autonomie politique : l’exaltation de 1789 gagne rapidement les différentes couches sociales de la population qui s’organise alors en clubs et sociétés politiques. Ce phénomène n’est certes pas nouveau ; ce qui est inédit durant cette période, c’est l’investissement accru du populaire dans ce domaine. Ce n’est plus seulement une sociabilité de l’élite, mais une réelle sociabilité populaire et politique qui se constitue. Les couches populaires – travailleurs agricoles, petits artisans et commerçants – pratiquaient déjà des sociabilités à l’échelle de leur communauté, à l’image des chambrées de Provence ou des veillées. Ces liens sociaux préexistants, souvent construits autour de la famille, facilitent ainsi la constitution d’affinités politiques selon les liens entretenus entre chaque membre de la communauté villageoise.

Estampe à l’eau-forte de Boulet, 1797, Paris, Bibliothèque Nationale de France, domaine public (QB-201-FT 4)

À Pézenas, deux sociétés politiques se constituent dès 1790 : la société du salut public et la société des sans-culottes. Ces deux assemblées sont polarisées selon le statut socio-économique de leurs membres ; tandis que la première est composée d’individus aisés, la seconde offre un aspect plus populaire. Il est également intéressant de noter que les membres de la société du salut public cumulent les nouvelles charges politiques municipales : ils apparaissent ainsi comme les notables de la cité. Ces réunions affinent l’idéologie politique de chaque parti, menant ensuite à une certaine radicalisation face au contexte incertain et brutal des événements révolutionnaires. Cette radicalisation politique reconstruit les rapports sociaux au sein des communautés, ajoutant un nouveau facteur de fracture socio-économique et menant à un militantisme actif de part et d’autre. Ce climat de paranoïa et de délation, accentué par la Terreur de 1793-1794, impulse certaines émotions politiques – comme l’indignation, la peur et l’espoir – à la base des révoltes armées et des affrontements violents des factions.

L’indignation de l’émeute

« Citoyen, vouliez-vous une révolution sans révolution ? »

Maximilien de Robespierre, discours à la Convention Nationale,
5 novembre 1792 (en réaction aux massacres de septembre)

La nouvelle pratique électorale participe également à la formation politique des citoyens. Une assemblée se réunit à Pézenas le 21 mars 1798 afin d’élire les électeurs : sous le Directoire (1795-1799), le suffrage est censitaire et à deux degrés ; ainsi, seuls les hommes propriétaires et aisés peuvent participer au processus électoral. Les citoyens sont alors divisés entre les “actifs”, détenant le droit de vote, et les “passifs”, citoyens sans droits politiques. En pleine séance électorale, une émeute populaire de citoyens passifs s’empare du local et malmène les citoyens actifs. Empreints du concept révolutionnaire de souveraineté du peuple, les émeutiers réclament une juste représentation politique. Plus que cela, les séditieux organisent alors leurs propres élections incluant femmes et enfants, relevant de l’exigence populaire d’une démocratie directe et inclusive. Les troubles se dissipent face à la démonstration des forces armées, et les élections populaires du canton sont cassées par le pouvoir départemental. Cet événement démontre néanmoins la forte imprégnation de la sphère politique au sein de la communauté : en 1798, après des années d’effusion politique, les opinions sont forgées et s’expriment au sein de partis officieux à l’échelle locale. Les revendications populaires se manifestent par la violence et le soulèvement armé, alors légitimés dans la pensée révolutionnaire par le devoir d’insurrection.

Une des expressions de cet apprentissage politique se distingue aussi dans la résistance passive et active aux autorités établies. Le refus de la conscription et les désertions sont en nette augmentation, tandis que les pouvoirs politiques et militaires ne parviennent pas à imposer l’ordre. En mars 1832, alors que Pézenas fête le carnaval, un détachement de cavaliers est envoyé dans la cité pour y maintenir l’ordre. Face à la démonstration de force, la population érige des barricades sommaires et s’en prend aux militaires : ceux-ci font le choix de se replier et de ne pas risquer l’escalade de violence. Il est notable de relever que les femmes se placent bien souvent en première ligne lors des émeutes : exclues du monde politique légal, leurs voix ne se font entendre que dans les rituels politiques protestataires ou festifs. La construction politique issue de la Révolution impulse la constitution de rituels informels mais structurés dans leur forme : les émotions révolutionnaires imprègnent ainsi la pratique politique du XIXe siècle.

Estampe à l’eau-forte d’Auguste Blanchard, 1834, Paris, musée Carnavalet, Licence CC0 (G.27630)

Culture des rituels politiques

Les différents régimes qui se succèdent au XIXe siècle partagent un autoritarisme assumé : les assemblées politiques sont fortement encadrées, voire interdites, et la censure de la presse bat son plein. Il n’est reconnu aucune conscience politique au peuple : s’il se soulève, c’est qu’il est égaré, par cause d’ignorance et de naïveté. Ainsi, la pratique politique se poursuit clandestinement, tout en s’affichant de plus en plus publiquement : il s’agit ici d’emporter l’adhésion autour de sociabilités politiques. La pratique des banquets se multiplie, tandis que les réunions s’enchaînent dans les débits de boisson ; le chant partisan accompagne systématiquement ces événements, et se décline souvent en charivari2 . Les militants radicaux s’engagent au sein de sociétés secrètes, désirant renverser les pouvoirs établis par le complot.

La presse engagée participe à la formation de l’opinion, à l’image de Lou Tarribarri, journal révolutionnaire de Pézenas en 1848. Le modèle de la citoyenneté combattante se poursuit à travers l’érection de barricades lors des insurrections, devenue une véritable image d’Épinal des révolutions du XIXe siècle. Malgré tout, la violence revendicative cède peu à peu le pas à des rituels pacifiques : l’État monopolise progressivement l’usage légitime de la violence menant à une certaine pacification des mœurs, tandis que les sentiments communautaires s’affaiblissent face à l’hégémonie de la société bourgeoise. La tolérance à la violence s’abaisse sensiblement : des pratiques contestataires pacifiques sont progressivement privilégiées dans la seconde moitié du siècle, comme la manifestation et la grève.

Document conservé aux Archives départementales de l’Hérault, sous la cote 2 U2 648. Cliché de l’auteur (07/11/20), Licence ouverte Etalab 2.0

Aux armes ! … et cætera.

La Révolution inaugure ainsi des formes inédites de politisation populaire, évoluant jusqu’à nos jours. Les sociabilités politiques participent à la création de sentiments d’appartenance à une classe socio-économique, remplaçant peu à peu les sociabilités communautaires traditionnelles. L’évolution de l’usage de la violence protestataire et de sa légitimité apparaît comme une clé de lecture de l’engagement politique.

Citer cet article : Robin Duthu, "De l’engagement politique à la violence populaire (1789-1851)," in Les Éditions Universitaires d'Avignon : carnet de recherche, 6 décembre 2022, https://eua.hypotheses.org/9562.
  1. Robin Duthu, Engagement politique et violence populaire : évolution des pratiques contestataires à Pézenas & dans les plaines de l’Hérault, 1789-1852, mémoire d’Histoire moderne & contemporaine, Université Toulouse II, 2021, 332 p. []
  2. Rituel collectif festif durant lequel les participants usent du bruit comme protestation symbolique dans l’espace public []

Auteur/autrice : Robin Duthu

Détenteur d'un master recherche en Histoire portant sur les processus de politisation populaire de 1789 à 1851 dans le département de l'Hérault. Actuellement en deuxième année de master Patrimoines & Cultures numériques à Avignon, je me destine aux métiers de la conservation du patrimoine, notamment dans le domaine muséal.

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