Nouvelle parution : Vivre le patrimoine mondial au quotidien, dynamiques et discours des habitants (Isabelle Brianso, Dominique Cassaz, dir.)

L’ouvrage interroge les relations au patrimoine que les habitants des villes inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco entretiennent dans leurs pratiques ordinaires à partir d’études de cas. Les contributions réunies discutent des enjeux théoriques et pragmatiques, en évoquant également la responsabilité des habitants en matière de développement durable. Ce billet vous propose trois extraits.

Extraits

Préface, par Mechtild Rössler

Les biens du patrimoine mondial sont à la fois des symboles et des rappels pour nous tous de l’importance de préserver notre patrimoine commun, et de notre incroyable capacité à le faire lorsque nous unissons nos forces. La liste du patrimoine mondial est constituée de sites d’une valeur universelle exceptionnelle, qui requièrent et méritent donc notre plus grande attention en vue de leur sauvegarde.

L’Unesco a établi la Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel il y a cinquante ans, dans le 8 Préface but de construire un pont entre notre passé et notre avenir commun. La sauvegarde du patrimoine mondial exige que nous apprenions à connaître et à respecter le patrimoine des autres, ce qui contribue au dialogue, à la compréhension mutuelle et à une véritable coopération internationale. Ce qui rend exceptionnel le concept de patrimoine mondial est son application universelle, car les sites qui en font partie appartiennent à tous les peuples du monde, sans qu’il soit tenu compte des territoires sur lesquels ils sont situés.

Il est vital, pour la préservation des biens, que nous observions et comprenions les effets des impacts environnementaux et humains sur la valeur universelle exceptionnelle, et que nous utilisions ces connaissances pour y répondre efficacement et nous y préparer. Nous devons être plus diligents et attentifs que jamais pour surveiller l’état de conservation des biens du patrimoine mondial et nous concentrer activement sur leur préservation.

Engagements et attachements au patrimoine des habitants, Sébastien Jacquot

Définir qui est habitant est plus complexe qu’il n’y paraît, comme le montrent les débats en études touristiques, longtemps structurés par l’opposition touristes/habitants, avant la reconnaissance de la simplification induite par cette opposition et les passages d’une catégorie à l’autre, ainsi que les zones de continuum et d’hybridité (Sherlock, 2001). Tout d’abord, « habitants » est souvent au pluriel, et ne doit pas masquer les oppositions entre habitants, la pluralité des positionnements, des statuts, etc. Par conséquent, si on souhaite définir des droits des habitants au patrimoine, sur quelle base les attribuer ?

Plusieurs caractéristiques peuvent distinguer les habitants les uns des autres, et conférer un surcroît de légitimité et d’accès au patrimoine, selon les partis pris. Tout d’abord, selon le statut résidentiel et juridique, est-ce la propriété ou la résidence qui sont prises en compte pour définir les habitants qui peuvent exprimer leur voix sur les questions patrimoniales ? Dans les stations touristiques, les résidents secondaires acquièrent un poids politique, notamment du fait de leurs stratégies fiscales et résidentielles, et s’attachent au lieu, s’en sentent aussi partie (Blondy, Vacher, Vye, 2016). Alors que la propriété immobilière connaît des mutations importantes dans les espaces urbains, notamment anciens, provoquant aussi des dynamiques de changement social, et que les vies (et les contrats locatifs associés) sont davantage mobiles, faut-il introduire un critère d’ancienneté et d’ancrage ? À l’inverse, quelle place dans les dispositifs patrimoniaux accorder à ceux ayant quitté, parfois à contrecœur, un espace résidentiel désormais gentrifié, au-delà des dispositifs mémoriels à visée nostalgique ? Quelle est la rémanence du titre d’habitant ?

Agir pour l’inscription patrimoniale, entretien avec Jean-François Caron

Les questions d’implication et d’engagement des habitants sont primordiales, ce qui m’a conduit à m’interroger : qu’est-ce qui fait qu’on s’engage ou qu’on ne s’engage pas ? Quelle image renvoie mon territoire ? Ai-je envie de le fuir ou de me battre ?

En 2002, j’étais vice-président de région et j’ai obtenu que, dans le contrat du plan d’aménagement du territoire, il y ait une mesure au sujet de la question culturelle, car j’ai toujours considéré qu’il n’y a pas de projets de territoire sans des acteurs présents ou engagés. Cela m’a amené à étudier la façon dont les grands sites de mémoire peuvent être des objets et des lieux transitionnels, qui permettent de passer d’un monde à un autre : du monde de la mine au xxie siècle par exemple.

Lors d’une réunion, j’ai lancé cette boutade : « Pourquoi est-ce qu’on s’extasie devant les pyramides d’Égypte, alors qu’on crache sur les terrils ? » En sachant que les terrils de ma commune font la hauteur de la pyramide de Khéops… Cela renvoie à des représentations du territoire. Aujourd’hui, l’Unesco ne veut plus aller vers les grands sites prestigieux. Au contraire, ce qui l’intéresse, c’est la véritable histoire des peuples et la façon dont elle s’incarne dans les territoires, notamment par le biais de paysages culturels évolutifs. C’est comme ça que je me suis lancé dans l’aventure de l’inscription du bassin minier sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, que j’ai conduite pendant dix ans et qui a fini par aboutir. Ce qui m’étonne encore, moi et nombre de personnes que je côtoie, c’est que, par un concours de circonstances, le président fondateur de l’Association des biens français du patrimoine mondial , Yves Dauge – qui avait 84 ans et qui voulait passer la main –, ainsi qu’un certain nombre de piliers de l’association ont pensé que mon approche du patrimoine, qui s’écartait d’une vision « monuments historiques » classique, était la bonne. Je me posais en effet un certain nombre de questions. Les monuments historiques sont importants, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Comment s’inscrivent-ils dans le territoire ? Quel rapport les habitants entretiennent-ils avec eux ? En quoi la question du patrimoine peut-elle être considérée comme « sous cloche » ?


Les auteurs

Isabelle Brianso est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à Avignon Université. Rattachée au Centre Norbert Elias (UMR 8562), ses travaux de recherche portent sur les processus de patrimonialisation en contexte international (Unesco, Conseil de l’Europe). Ancienne boursière Marie Curie (FP7) à l’université autonome de Barcelone (Espagne), elle travaille sur les dynamiques locales du patrimoine mondial à Angkor (Cambodge), à Marrakech (Maroc) et en Europe (Itinéraires culturels).

Antoine Bruguerolle est architecte diplômé par le gouvernement (DPLG) et architecte du patrimoine. Il a conduit de nombreuses opérations de restauration et de construction en centre historique, ainsi que des études urbaines et paysagères de sites historiques (PSMV et PVAP, grands sites). Il est membre du conseil d’administration d’Icomos France et expert Icomos Conseil international sur les villes et villages historiques (CIVVIH). Il participe au groupe de travail « changement climatique et patrimoine ».

Olivier Cadart est architecte-urbaniste, intervenant à l’École de Chaillot, formateur à EnvirobatBDM, ex-maître de conférences associé à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional (Aix-Marseille Université). Son expérience de projets patrimoniaux et son engagement au titre de la qualité environnementale lui permettent de développer une analyse critique de la pratique de la réhabilitation du bâti patrimonial et de la revitalisation des centres anciens, au regard des exigences environnementales contemporaines.

Jean-François Caron est l’actuel président de l’Association des biens français inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco (ABFPM), après avoir conduit le projet d’inscription du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Maire de Loos-en-Gohelle depuis 2001, et ancien vice-président de région, il défend un projet de transition écologique et sociale d’un territoire marqué par les séquelles de l’exploitation charbonnière. Engagé pour sa ville, il mène actuellement des actions de terrain au sein de la Fabrique des transitions.

Dominique Cassaz est architecte et urbaniste. Attachée à la conservation, la valorisation et l’inscription du patrimoine au sein des dynamiques urbaines, elle a conduit l’extension de la Grande-Île de Strasbourg à la Neustadt sur la liste du patrimoine mondial et la réalisation de son plan de gestion ainsi que l’obtention du label du patrimoine européen pour le quartier européen de Strasbourg. Elle est maintenant adjointe au directeur des monuments histriques et coordinatrice du patrimoine mondial de l’Unesco pour la ville d’Avignon. Elle coordonne la candidature d’Avignon au label Ville et Pays d’art et d’histoire.

Guido Castelnuovo est professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université d’Avignon (laboratoire CIHAM-UMR 5648), ancien membre de l’École française de Rome et directeur des Éditions Universitaires d’Avignon. Ses travaux portent sur la société politique de la fin du Moyen Âge (principautés, cités italiennes), ainsi que sur les élites médiévales comparées (chevaleries, aristocraties, noblesses) dans leurs cadres européens et méditerranéens.

Margot Ferrand est docteure en histoire d’Avignon Université (codirection histoire médiévale-géomatique). Ses recherches portent sur les spatialités urbaines à partir du cas de la cité d’Avignon à la fin du Moyen Âge. Croisant des méthodes et des questionnements relevant aussi bien des sciences humaines et sociales que de la géomatique ou de l’informatique, elle explore les usages et les représentations de l’espace urbain sur le temps long.

Allison Guiraud est doctorante en sciences de l’information et de la communication à Avignon Université et membre du Centre Norbert Elias (UMR 8562). Sa recherche doctorale porte sur les logiques de mise en place et de développement de projets numériques de valorisation du patrimoine. Elle vise une meilleure compréhension des pratiques professionnelles et des enjeux communicationnels, économiques et politiques au cœur de la filière du numérique patrimonial en tant qu’industrie culturelle.

Yannick Hascoët est maître de conférences (géographie sociale, culturelle) à Avignon Université. Il est membre du Centre Norbert Elias (UMR 8562). Son travail se fonde sur la catégorie de « l’ordinaire ». Elle lui permet d’analyser des entreprises patrimoniales de reconnaissance d’objets minorés, des pratiques professionnelles touristiques quotidiennes comme les nouvelles formes de l’habiter, ainsi que des espaces à priori sans qualités et fondant, pourtant, des innovations patrimoniales, récréatives, esthétiques et politiques.

Sébastien Jacquot est maître de conférences en géographie (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), et directeur de l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme (IREST). Il est directeur adjoint de l’équipe interdisciplinaire de recherches sur le tourisme (EA EIREST). Il est coresponsable du GT Patrimoine (Labex Dynamite), membre du réseau Unitwin (Chaire Unesco « Tourisme, Culture, Développement »). Ses recherches s’inscrivent dans la géographie sociale et urbaine et portent sur la patrimonialisation, le patrimoine mondial, le patrimoine immatériel, les liens entre tourisme et réseaux sociaux, le tourisme métropolitain, le patrimoine d’en bas, l’informalité en ville.

Jean-François Lagneau est architecte en chef des monuments historiques et, à ce titre, a conduit de nombreuses opérations de restauration dans ses circonscriptions. Actuellement à la retraite de ses fonctions, il continue d’exercer comme architecte du patrimoine. Il a été élu président d’Icomos France de 2015 à 2021 et continue de s’investir, en particulier dans le groupe de travail « changement climatique et patrimoine ».

Mechtild Rössler est experte internationale du patrimoine et chercheur associé (Géographie-cités, UMR 8504). Elle a travaillé 30 ans à l’Unesco, notamment en tant que directrice du Centre du patrimoine mondial de l’Unesco (2015-2021). Ses recherches et publications concernent l’histoire de la géographie et du patrimoine, le patrimoine mondial de l’Unesco, les paysages culturels et les liens culture‑nature.

Dominique Vingtain est docteur en histoire des arts, médiéviste spécialiste d’architecture et de peinture. Conservatrice en chef du patrimoine, elle est actuellement directrice du Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine (CICRP) à Marseille, après avoir longtemps été directrice du musée du Petit Palais d’Avignon et conservatrice en chef du Palais des Papes. Spécialiste de l’histoire du patrimoine et de la restauration, à laquelle elle a consacré plusieurs ouvrages, elle est commissaire de nombreuses expositions d’art ancien et contemporain.

Martine Vittu est actuellement vice-présidente de la Fédération européenne des associations d’habitants des unités d’habitation de Le Corbusier, dont elle a activement participé à la création en 2004 comme représentante de l’unité d’habitation de Rezé (44) où elle réside sans discontinuer depuis 1956. Elle a été la première à occuper le poste de représentante des habitants au conseil d’administration de la Fondation Le Corbusier et ainsi à apporter aux experts de l’œuvre de l’architecte le regard des utilisateurs. Elle est fréquemment sollicitée pour témoigner sur ce qu’est « habiter Le Corbusier ».

Anne Watremez travaille depuis 2016 au sein de l’IMCA Provence, organisme de formation spécialisé dans la formation professionnelle des métiers de l’audiovisuel et du scénario. Elle a été de 2003 à 2015 enseignante-chercheuse à Avignon Université, au sein du Centre Norbert Elias et du département sciences de l’information et de la communication. Sa thèse, réalisée en cotutelle avec l’université du Québec à Montréal (UQAM), a été soutenue en 2009. De 2011 à 2013, elle a réalisé plusieurs assistances à maîtrise d’ouvrage auprès de collectivités locales (Arles, Avignon, Orange) pour la rédaction de leurs plans de gestion de biens inscrits au patrimoine mondial.


Paru le 15 décembre 2022

Collection Passion du patrimoine
264 p.
20 €
ISBN 978-2-35768-154-5 (imprimé)
Diffusion/distribution FMSH-Diffusion

ISBN 978-2-35768-155-2 (numérique)
Disponible sur OpenEdition Books : https://books.openedition.org/eua/6879


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