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Georges Rousse – Transformer l’espace

Collection : Entre-Vues, Leçons de l’Université
Thème : Photographie, Art, Création
Parution : 01/2011
Pagination : 60 pages

Prix : 7€

ISBN : 978-2-35768-021-0
OpenEdition Books : https://books.openedition.org/eua/1564

« Je ne suis pas intéressé par l’illusion proprement dite, ni par sa signification. Je cherche plutôt à transformer un espace qui n’a plus ni sens, ni contenu, en une œuvre d’art ». Le 9 juillet 2010, s’est tenue une Leçon donnée par Georges Rousse à l’université d’Avignon, et présentée par Jean-Marc Ferrari. Au cours de cette rencontre, Georges Rousse, photographe-plasticien, présente deux de ses œuvres au cœur desquelles il a imaginé un espace de création et de compréhension de la création.

La photographie est là depuis le début

« Georges Rousse. Avant d’évoquer l’œuvre d’Avignon, je vais remonter un peu dans le temps. J’ai commencé par la photographie. La photographie est là depuis le début et m’accompagne encore. J’ai toujours photographié des paysages, des architectures et des lieux en ruines, abandonnés. J’ai été formé dans la tradition photographique américaine, avec les images de Stieglitz, Steichen, Weston, ou Ansel Adams. En découvrant le Land Art, j’ai compris que l’on pouvait avoir une action plastique et la relater par la photographie. D’un seul coup, je voyais la possibilité pour le photographe de sortir de derrière son appareil photo et d’agir sur le réel. J’ai donc, à mes tous débuts, procédé de la même manière1 en intervenant dans le paysage mais sans jamais trouver cet équilibre, cette justesse, que l’on peut voir chez les artistes du Land Art. C’est dans la ville, dans les lieux abandonnés que j’ai établi — en commençant avec la figuration — une relation entre la peinture et l’espace. Et cette relation me semblait cohérente et évidente à travers la photographie. Les architectures et lieux en ruines que je photographie depuis toujours, que je collectionne en quelque sorte, ont constitué ainsi une des constantes de mon travail.

Pour les artistes du Land Art la photographie est le témoin de l’action ; pour moi elle est le but final. En intervenant dans les espaces abandonnés, j’ai adopté ce parcours un peu étrange entre la troisième et la deuxième dimension. Ce que je réalise dans le lieu est toujours en volume dans l’espace, tandis que mon esprit voit, dans le même temps, l’image finale qui, elle, sera plane. Le tracé par l’intermédiaire de la caméra me semble provoquer cette double lecture de l’espace. Ainsi les lieux et mon intervention dans ces lieux sont mémorisés par la photographie et n’existent qu’à travers elle. Ce sont les premiers principes de mon travail.

J’ai connu Jean-Marc Ferrari à mes débuts en 1982, à la Biennale de Paris, où je montrais les premières photographies de personnages peints sur les murs. Ces personnages avaient le pouvoir de ré-habiter les lieux abandonnés. Très souvent, il s’agissait d’autoportraits, de situations personnelles, fantasmes ou rêveries, que je peignais sur les murs. Mais très vite, je me suis posé la question de savoir comment évoluer. La question reste toujours posée : comment enrichir l’œuvre et sa propre pensée ? Comment les faire évoluer à partir de deux principes constants : la friche abandonnée et la photographie. Le lieu abandonné dans la ville représente pour moi un espace poétique. Il s’agit d’un endroit d’où l’on peut regarder les autres, où, isolé, on peut rêver en écoutant les bruits. L’endroit est également parfait comme atelier, en tout cas pour l’atelier nomade qui me concerne. La photographie est mon moyen d’action, parce qu’elle suppose une maîtrise de la lumière riche en symbole et que la relation entre la lumière et l’architecture, à travers la photographie, est pour moi fondamentale. Mon champ d’action est infini, le voyage venant enrichir ma collection d’espaces, les rencontres des lieux et de la photographie.

En introduction à la discussion, j’ai choisi de faire projeter le film de Gilles Perru2, La lumière et la ruine, qui montre très clairement, à travers le tournage de la création d’une œuvre, le fonctionnement de mon travail. Dans les premières images du film, on voit un espace dans lequel j’avais travaillé. Le réalisateur y est revenu cinq ans plus tard, afin de capter les évolutions dues au temps. Ensuite, nous avons trouvé un autre lieu à Paris, pour lequel j’ai réalisé une œuvre spécialement pour ce nouveau film3. Ce lieu était une usine qui fabriquait des batteries de voiture, très polluantes. Une partie de ce bâtiment industriel avait été aménagé en un espace de bureaux avec moquettes et parois vitrées… Dans cette installation, mon projet était de faire interférer à la fois le contenant et le contenu : le bâtiment industriel avec son architecture brute et les bureaux intérieurs, plus sophistiqués. Lorsque j’ai quitté le site, une fois mes photographies faites, le réalisateur a eu la possibilité de montrer le vieillissement de l’installation, plusieurs mois après. Le principe du travail est bien décrit dans le film. Mais la même question revient : pourquoi suis-je toujours fasciné par les lieux abandonnés, par la transformation de l’espace ? »


Des lieux synonymes d’errance

« Jean-Marc Ferrari. L’autre aspect de ton travail est en lien avec l’errance, avec une sorte de méditation dans les ruines de notre société industrielle, dans tous ces bureaux bourrés de restes d’ennui et d’amiante. Est-ce de la mélancolie ?

Georges Rousse. Je ne parlerais pas de mélancolie. Il s’agit plus d’une passion d’aller vers les autres. Par l’intermédiaire du travail, je me sens plus à l’aise pour parler de moi, parler des gens et de leurs préoccupations. Je transforme un lieu en me l’appropriant et ce sont les autres qui viennent me voir. En même temps, voyager c’est découvrir d’autres cultures. Je travaille très souvent dans des quartiers pauvres, pas du tout touristiques, et j’y organise une espèce de quotidien qui me les rend familiers. Tous les matins, j’arrive pour travailler ; je reconnais les gens ; les gens viennent me voir, comme à Calcutta où les occupants qui étaient des réfugiés du Bangladesh ne comprenaient pas vraiment pourquoi je recouvrais de pigments bleus ce palais abandonné, à moitié en ruine, mais ils étaient intéressés. De même dans les espaces industriels, j’ai investi beaucoup de lieux et eu beaucoup d’expériences différentes. Je me souviens de travailleurs qui venaient voir ce que je faisais dans l’usine qu’ils avaient quittée dix années auparavant, comme dans une aciérie au Luxembourg, ou une filature en Finlande. Les gens peuvent ainsi découvrir différemment le lieu dans lequel ils ont travaillé toute leur vie, et l’échange est toujours passionnant, et souvent émouvant.

Jean-Marc Ferrari. On pourrait faire un grand guide mondial des œuvres de Georges Rousse : partir sur les traces de ton œuvre pour un autre “tourisme” intelligent et sensible. Je vois une sorte d’opposition entre le côté éphémère de ton œuvre, qui me séduit, et la dimension institutionnelle de la commande qui aimerait la figer. Je voudrais ici parler des cinq éléments. Je me souviens qu’à Saint-Quentin, tu as travaillé sur le feu. Est-ce que tu as l’intention de continuer sur cet aspect dynamique ? Puis tu as réalisé une création dans une piscine aux Lilas, pour évoquer l’eau.

Georges Rousse. Je ne cherche pas à être institutionnel, mais à me faire plaisir en travaillant. Je veux être le plus proche possible du lieu et jouir de mon occupation. Une commande comme celle d’Avignon me permet d’explorer des voies nouvelles. C’est cela qui m’intéresse. En fait, les lieux que je découvre sont très divers. L’organisation de mon esprit correspondra donc à certains lieux et pas à d’autres. Je tente plusieurs directions, en gardant les constantes de la photographie et du lieu abandonné. Ces directions sont forcément développées dans le temps car tous les lieux ne sont pas adaptés à tel ou tel projet.

Le feu fait partie de ces thèmes, de ces directions, mais il demande des moyens particuliers. Le feu permettait de répondre à la question : comment faire des photos sans lumière ? Phôtos veut dire lumière en grec, et la photographie est étymologiquement “écriture de lumière”. Si l’on supprime la lumière, comment faire des photos ? J’ai trouvé deux solutions à cette interrogation : l’une est la peinture phosphorescente4 — la photo est faite à la lueur du phosphore, qui s’illumine dans le lieu, et l’autre est le feu. Mais le feu demande une certaine organisation et j’ai eu droit à quelques mésaventures.

Ce sont des expériences très différentes du lieu et de l’espace. J’aurai certainement l’occasion d’expérimenter à nouveau cet élément….


Georges Rousse, photographe-plasticien, intervient et expose dans le monde en entier : en Europe, Asie (Japon, Corée, Chine, Népal…), aux États-Unis, au Québec, en Amérique latine (Brésil, Chili, Mexique, Pérou), etc. Il est représenté par les galeries : Bärtschi, Genève —Catherine Putman, Paris —Claire Gastaud, Clermont — Ferrand —Johyun, Séoul — Meessen de Clercq, Bruxelles —Photoco & co, Turin —Reckermann, Cologne —RX, Paris —Springer & Winckler, Berlin —Waterhouse and Dodd, Londres et New-York.


  1. La première exposition collective à laquelle a participé Georges Rousse, Des photographes dans le paysage, s’est tenue à la Galerie de France, à Paris, en avril 1981. []
  2. Georges Rousse. La lumière et la ruine. Réalisation Gilles Perru. Production Sesame Films. 20’. []
  3. « Clichy 1998 », dans Georges Rousse, 1981-2000, Genève, Éditions Bärtschi Salomon, 2000. []
  4. « Alex 2000 », dans Georges Rousse, 1981-2000, o. c. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Équipe des EUA (4 mars 2025). Georges Rousse – Transformer l’espace. Les Éditions Universitaires d'Avignon. Consulté le 17 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13f1h


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