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Patrick Gianfaldoni, Nadine Richez-Battesti, Laurent Fraisse (dir.) – Quand l’économie sociale et solidaire fait territoire

Collection : En-Jeux
Thème : économie, territorialité
Parution : 10/2024
Pagination : 341 pages

PRIX : 24 €

ISBN : 978-2-35768-173-6
OpenEdition Books : à venir

L’économie sociale et solidaire s’ancre dans le territoire. Ses acteurs bâtissent la cohésion sociale à l’échelle locale, encouragent la coopération, relocalisent les emplois et les activités, et jouent un rôle essentiel dans la transition écologique. Cette dynamique de proximité interroge la recherche actuelle. Issu des XXIIe rencontres du Réseau inter-universitaire de l’économie sociale et solidaire qui se sont tenues à Avignon en 2023, il rassemble les contributions de chercheurs en économie, en sociologie ou en sciences de gestion. Son approche pluridisciplinaire permet d’appréhender les différentes formes de coopération, les ressources aussi bien humaines que matérielles en jeu et les trajectoires prises dans les territoires.

Introduction de Patrick Gianfaldoni et Laurent Fraisse

L’économie sociale et solidaire (ESS) est aujourd’hui présentée comme un processus territorialisé ou de proximité. Du fait d’activités et d’emplois non délocalisables, ses acteurs et entreprises favoriseraient la cohésion territoriale et le développement local. Par conséquent, la légitimation de l’ESS implique de valoriser ses apports aux dynamiques du territoire, une valorisation renforcée par les enjeux actuels de la transition écologique, de la relocalisation de l’économie et des solidarités de proximité. De fait, les chapitres de cet ouvrage attestent de l’intérêt soutenu des chercheurs du Réseau inter-universitaire de l’économie sociale et solidaire (RIUESS) pour les dynamiques territoriales de l’économie sociale et solidaire.

Quelle(s) conception(s) du territoire ?

Le territoire est défini par Pecqueur (2000, p. 40) comme « un concours d’acteurs, ancré dans un espace géographique délimité (même si la frontière peut être floue et provisoire) qui vise à identifier puis tenter de résoudre un problème ou de bénéficier d’un avantage jugé comme partagé par les acteurs ». Torre (2018, p. 1047-1048) précise que les territoires « s’élaborent par les oppositions et compromis entre acteurs locaux et extérieurs et s’inscrivent dans le long terme, avec une histoire et des préoccupations ancrées dans les cultures et les habitudes locales, la perception d’un sentiment d’appartenance, ainsi que des formes d’autorités politiques, des règles d’organisation et de fonctionnement spécifiques. » Aussi, considérant les territoires comme des entités socialement, politiquement, économiquement et productivement construites, autrement dit des espaces structurés et dynamisés par les différents acteurs les composant, il convient de ne pas les limiter à de simples supports, territoires physiques ou administratifs, ou à des territoires réceptacles.

Cette conception des territoires est plus perceptible encore au travers des activités vécues, des coordinations localisées, ainsi que par les coopérations projetées ou concrétisées, qui permettent de révéler des ressources spécifiques (Colletis, Pecqueur, 2005), jusqu’à pouvoir donner lieu à des systèmes sociopolitiques et socioéconomiques. Ainsi, Moine et Sorita (2015, p. 58) les perçoivent comme des systèmes complexes « dont la dynamique résulte de boucles de rétroaction qui lient un ensemble d’acteurs et l’espace géographique qu’ils utilisent, aménagent et gèrent en fonction de leurs représentations, passées, présentes et projetées ». Chaque système- territoire est sous-tendu par quatre sous-systèmes : l’espace géographique, produit et composante des pratiques sociales des acteurs, les représentations individuelles et collectives intégrées et projetées par ces derniers sur le territoire, les actions (utilisation, gestion, aménagement) exercées en fonction des représentations, la temporalité des actions (durée, évolution, interrelations, conjonctions).

Ces vingt dernières années, les sciences sociales dans leur diversité (géographie, économie, gestion, sociologie) n’ont cessé d’appréhender les territoires sous de multiples angles conceptuels et analytiques : formes de proximité (Pecqueur, Zimmermann, 2004 ; Boschma, Frenken, 2010), génération et valorisation de ressources (Benko, Pecqueur, 2001 ; Colletis, Pecqueur, 2018), gouvernance territoriale et action publique (Gilly, Wallet, 2005 ; Leloup et al., 2023), innovation sociale territoriale (Van Dyck, Van Den Broeck, 2013 ; Klein, 2014), développement territorial (Torre, Wallet, 2014 ; Torre, 2015). Par la suite, les rapprochements entre les recherches sur le développement territorial et celles portant sur le développement durable se sont affermis pour déboucher sur des approfondissements théoriques normatifs, comme l’approche de la responsabilité territoriale des entreprises (RTE) qui « questionne fondamentalement la capacité des collectifs à créer du lien, du sens et de la valeur partagée » au sein des territoires (Filippi, 2024, p. 11).

Les organisations et entreprises de l’économie sociale et solidaire – coopératives, associations, mutuelles et fondations – ont depuis longtemps contribué au maillage et au développement des territoires, aux formes innovantes de coopération locale avec les collectivités territoriales. De même, en mobilisant la société civile, ces organisations ont révélé et activé des ressources territoriales singulières et spécifiques, contribuant ainsi à des trajectoires collectives de développement social local et de développement économique. Pour autant, la reconnaissance du territoire comme échelle institutionnelle pertinente, champ d’action privilégié ou domaine académique à investir est plus récente, du fait des avancées théoriques pluridisciplinaires qui viennent nourrir nombre de problématiques d’étude et de recherches.

Un renouveau de l’économie sociale sans les territoires ?

Il est intéressant de rappeler que la prise en compte du territoire dans la construction sociopolitique et conceptuelle du champ de l’économie sociale n’allait pas historiquement de soi. Dans les années 1980-1990, les enjeux territoriaux étaient en effet marginaux dans le rapprochement des trois « familles » coopérative, mutualiste et associative. La structuration et la représentation de l’économie sociale étaient avant tout nationales, statutaires et sectorielles. Les panoramas et portraits statistiques insistaient alors sur le poids socioéconomique des groupes coopératifs et mutualistes ou des fédérations associatives dans divers secteurs. La reconnaissance et les relations avec les pouvoirs publics passaient avant tout par l’État. Institutionnellement, les tentatives de rapprochement par le haut entre l’économie sociale et le développement local n’ont pas donné lieu à des politiques locales ciblées et durables (Duverger, 2016). Pour autant, on observe bien un retour du local à la même époque, avec la multiplication d’initiatives innovantes s’étendant de l’insertion par l’activité économique à la finance solidaire, en passant par les services de proximité. Leur reconnaissance ne débouche toutefois pas sur une intégration dans les « familles » coopérative, mutualiste et associative.

Théoriquement, la variable territoriale a été secondaire dans les principales approches conceptuelles de l’économie sociale du secteur non lucratif ou des entreprises sociales. Ces approches ont cherché, chacune à leur manière, à déterminer les critères discriminants permettant de regrouper sous une même appellation différents types d’organisations. La synthèse sur l’économie sociale proposée par Vienney (1994) est représentative d’études qui analysent les activités, les acteurs et le fonctionnement des coopératives, mutuelles et associations sans prendre en compte les territoires ni les collectivités locales. De fait, la tension structurelle entre la cohésion du groupe de personnes et la dynamique stratégique de l’entreprise n’était alors guère analysée du point de vue spatial. Les possibles effets territoriaux du « retournement des rapports entre les personnes et l’entreprise » étaient peu étudiés, alors que les tendances à la banalisation par le marché des grands groupes coopératifs et mutualistes faisaient l’objet de plusieurs publications. Quant aux premières études statistiques sur les associations (Tchernonog, 1995), elles prenaient en compte un territoire limité aux espaces politico-administratifs de l’État et des collectivités locales, considérés principalement comme des financeurs dans le cadre de politiques sectorielles. Enfin, la conceptualisation tardive des liens entre l’ESS et le développement territorial découle aussi du fait que les approches en matière de district industriel, de système productif local, de milieu innovateur, de gouvernance locale et de capital social n’ont pas bien repéré la « place spécifique que pourraient occuper les acteurs de l’ESS » (Parodi, 2005).

Le tournant territorial de l’ESS

Il y a donc bien eu un tournant territorial de l’ESS en France, tant politico-institutionnel que conceptuel. Si les acteurs et les réseaux de l’économie solidaire se sont structurés dès les années 1990 au sein d’associations et de pôles locaux se réclamant d’un développement local durable (Fraisse, 2022), le véritable basculement a lieu au début des années 2000 : on constate à cette époque une territorialisation progressive des réseaux d’acteurs, des structures d’accompagnement et de financement, des politiques publiques de l’ESS, des formations professionnelles et des enseignements universitaires. L’affirmation de politiques locales de l’ESS à différents échelons des collectivités locales, illustrée entre autres par la transformation des GRCMA (groupements régionaux des coopératives,
des mutuelles et associations) en Cress (chambres régionales de l’économie sociale et solidaire), en est la manifestation majeure.

Sur le plan académique, les Ve Rencontres du RIUESS organisées à Marseille en 2005 constituent un bon marqueur historique. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’intitulé mentionne pour la première fois la notion composite d’« économie sociale et solidaire » pour interroger ses rapports aux territoires. Un numéro spécial de la Recma (Revue des études coopératives mutualistes et associatives, 2005) en est même tiré : il met en avant les théories du développement local et de l’école des proximités, montrant ainsi que les organisations de l’économie sociale et solidaire considèrent le territoire comme la base de leur activité, et contribuent à générer des ressources spécifiques pour son développement (Colletis et al., 2005). Révélatrice du changement de période, la nouvelle synthèse de l’économie sociale et solidaire proposée par Duverger (2023) comprend un chapitre entier sur les « jeux d’échelle, du local au global », ce qui montre le chemin parcouru. De nombreux concepts (implantation, gouvernance, régulation, polarisation, régimes, configurations territoriales) ont été mobilisés ces dernières années pour saisir
les dynamiques territoriales des coopératives, mutuelles, associations et autres entreprises sociales. Partant d’une focalisation sur la place des entreprises de l’ESS dans les systèmes productifs locaux, les travaux ont progressivement intégré le rôle des collectivités locales (Fraisse et al., 2024). De même, les rapports entre l’ESS et les territoires ont été analysés sous la double dimension sociopolitique et socioéconomique (Pecqueur, Itçaina, 2012), par l’articulation des notions de gouvernance locale et de régulation territoriale (Demoustier, Richez-Battesti, 2010). Enfin, les conditions sociopolitiques d’émergence d’une politique locale de l’ESS ont été étudiées dans une perspective de coconstruction de l’action publique locale (Fraisse, 2017a).


Quelle participation pour les sociétaires bénéficiaires en Scic ?

Introduction

La société coopérative d’intérêt collectif (Scic), statut coopératif créé en 2001, se démarque des autres coopératives par son obligation de multisociétariat. Chaque Scic doit inclure dans sa gouvernance, en plus des salariés, les bénéficiaires du service ou du bien proposé, ainsi que d’autres parties prenantes concernées par le projet, telles que les collectivités territoriales, les financeurs ou encore les fournisseurs. L’objectif de ce multisociétariat est de définir les besoins auxquels la Scic doit répondre en incluant les personnes physiques et morales concernées par le projet de la coopérative. Les bénéficiaires du bien ou du service proposé peuvent alors, en plus de leur rôle d’usagers, endosser celui de sociétaires à travers la prise de parts sociales dans la coopérative.

La spécificité des coopératives, notamment dans les sociétés coopératives et participatives (Scop), consiste en l’implication des salariés dans le processus décisionnel de l’entreprise, au nom de l’intérêt collectif. En Scic, on recherche l’implication des usagers en plus de celle des salariés, à travers leur rôle de sociétaires bénéficiaires. Dans le cas des Scic de services, les bénéficiaires représentent la catégorie de sociétaires la plus nombreuse : c’est sur cette dernière que portera le présent chapitre. Se pose alors la question des modalités de cette participation au sein de ce qui reste une société commerciale. La souscription au sociétariat implique un investissement financier auquel s’ajouterait un don de temps. La participation interroge, tout autant que l’absence de participation. Pourquoi les sociétaires bénéficiaires s’engagent-ils au sein de la Scic ? Sous quelles formes s’exprime cet engagement ? Les différences d’enracinement territorial entre les Scic étudiées soulignent-elles un lien entre territoire et
participation ? Quelles attentes les équipes opérationnelles ont-elles envers les sociétaires bénéficiaires ?

Nous nous consacrons spécifiquement à trois Scic qui s’inscrivent dans divers secteurs d’activité : énergie, distribution alimentaire et culture. Toutes sont des coopératives de services. Elles comptent dans leur sociétariat une catégorie bénéficiaires, la plus étoffée. Une autre catégorie regroupe les salariés, avec parfois quelques nuances : elle peut aussi englober les membres fondateurs. Les autres catégories de sociétaires varient selon le secteur d’activité. Dans l’ensemble, elles comprennent des collectivités territoriales, les fournisseurs, les financeurs ou entreprises partenaires, ou encore d’autres acteurs du secteur ou du territoire. Dans un premier temps, nous reviendrons sur l’origine de la participation des sociétaires bénéficiaires au sein des Scic. Dans un second temps, nous verrons sous quelle forme se présente cette participation. Les attentes des équipes dirigeantes en matière de participation des sociétaires bénéficiaires diffèrent de la conception partagée par la majorité des bénéficiaires. Cela devient alors une source de frustration. Comme nous le verrons dans un troisième temps, cette frustration conduit les équipes dirigeantes à réévaluer leurs attentes vis-à-vis du sociétariat et à concevoir leur Scic avant tout comme un espace d’éducation populaire.


Le « transitio-mètre » des tiers-lieux : un outil de gestion au service des territoires ?

Introduction

Véritable phénomène de société (Krauss et Tremblay, 2019), les tiers-lieux
sont au nombre d’environ 2500 sur le territoire français en 2021, contre seulement 1800 en 2018 (France Tiers-Lieux, 2021). Selon cette même source, 7 tiers-lieux sur 10 sont établis sous un statut d’économie sociale et solidaire (ESS) (62 % en association, 8 % en coopérative). Bien qu’absents de la loi du 31 juillet 2014 institutionnalisant l’ESS et ses organisations, dont les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) (art. 9), ils apparaissent comme de nouveaux opérateurs territoriaux au service du développement local soutenable. Leur modèle économique affiche une certaine rentabilité, car seulement 30 % d’entre eux sont en déficit, contre 49 % à l’équilibre et 21 % en excédent. La majorité de ces tiers-lieux repose sur une structure financière paritaire public-privé, avec 50 % en activités économiques propres et 50 % en subventions publiques. Si la plupart, soit environ 80 %, possèdent un espace de coworking, beaucoup en milieu périurbain ou rural portent des activités culturelles ou artisanales, agroécologiques ou d’accompagnement social voire d’expérimentation de projets. En ce sens, ils se distinguent des espaces de coworking, des hacklabs et fablabs (Krauss et Tremblay, 2019), ainsi que des living-labs (Klein et Pecqueur, 2020).

Dans un contexte de quête de moyens pour une transition vers une autre économie, plus humaine et plus respectueuse de l’environnement naturel, les tiers-lieux semblent à la fois être l’objet de cette transition escomptée du côté de la société civile, et une méthode de développement soutenable des territoires du côté des élus locaux. Mais comment rendre compte de ce « transitionnel » ?

En nous inspirant de la démarche de Chansigaud (2015, p. 9), on peut se demander si la transition portée par les tiers-lieux relève d’une simple adaptation, soit une « action de changer ou de se changer pour mieux correspondre aux circonstances », ou si elle consiste en une véritable rupture organisationnelle. En d’autres termes, les tiers-lieux de transition ne sont-ils pas ces nouveaux opérateurs territoriaux, « des entités qui possèdent une capacité à agir avec performance dans l’espace géographique des sociétés concernées » (Lussault, 2007, p. 19), à la fois objet et méthode du changement radical ? Nous proposons d’abord un état de l’art au sujet de la transition, dans le cadre d’un enrichissement par les sciences du vivant des sciences économiques et de gestion, afin de compléter les premières approches développées récemment (Glémain et Billaudeau, 2022). Puis, nous discutons les résultats de deux nouvelles expérimentations de l’outil « transitio-mètre » en milieu rural et littoral, en régions Bretagne et Pays-de-la-Loire, de manière à développer une analyse critique de nos premiers enseignements sur le caractère transitionnel des tiers-lieux.

Par « rural », nous entendons :


[Un] espace de faibles densités de population, d’emplois, de bâtis, ou encore […] un espace largement couvert de zones agricoles, forestières ou naturelles et au sein duquel existent des discontinuités dans l’occupation de l’espace par les hommes. Enfin, du fait de la configuration des réseaux de transport, les localisations rurales disposent souvent d’une faible accessibilité aux autres points du territoire. Ces caractéristiques laissent présager un potentiel d’interactions relativement bas.

Par « espaces ruraux périurbains », nous comprenons des espaces « définis par l’intensité des migrations alternantes, […] disposés en couronnes autour des villes et caractérisés par de fortes relations à la ville » (Goffette-Nagot et Schmitt, 2005, p. 195). Quant au terme « littoral », il renvoie à un territoire en bordure d’océan. À l’issue d’une démarche monographique, nous avons élaboré un ensemble de matrices pour caractériser chronologiquement les tiers-lieux et leurs composants. Nous avons ainsi abouti à la création du transitio-mètre, associé à un jeu. De fait, cette recherche s’inscrit dans les travaux de l’Agence nationale de la recherche (ANR) avec le projet Peri#Work.


Les auteurs

Laurent Fraisse est sociologue, membre associé au LISE (CNAM-CNRS). Ses domaines de recherche portent sur l’économie sociale et solidaire, le monde associatif, la coopération territoriale, l’innovation sociale et les politiques sociales. Il travaille et publie actuellement sur la co-construction de l’action publique, les politiques en faveur de l’économie sociale et solidaire, les pôles territoriaux de coopération économique, l’innovation dans l’accueil des jeunes enfants.

Patrick Gianfaldoni est maître de conférences en sciences économiques à l’université d’Avignon, chercheur au .JPEG – laboratoire des sciences Juridiques, Politique, Économiques et de Gestion (UPR 3788) et membre du RIUESS. Ses travaux de recherche, théoriques et appliqués, portent sur l’économie sociale d’entreprise, les modèles socioéconomiques associatifs, les démarches d’évaluation par l’utilité sociale et l’impact social, les dynamiques de territorialisation et de polarisation territoriale.

Nadine Richez-Battesti est maîtresse de conférences en sciences économiques, chercheuse au laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail, LEST-CNRS (Aix-Marseille Université), membre du RIUESS et coprésidente de l’ADDES. Ses travaux portent sur les transformations des organisations de l’économie sociale et solidaire, et pointent l’importance des dynamiques délibératives, des liens au territoire, leur contribution à l’innovation sociale. Elle analyse particulièrement les coopératives comme espaces mésocritiques dans le capitalisme.


Françoise Moreil – Itinéraires protestants à l’époque moderne : de la confrontation à l’exil

Collection : En-Jeux
Thème : Histoire, Protestantisme, Époque moderne
Parution : 20/02/2025
Pagination : 344 pages

PRIX : 27 €

ISBN imprimé : 978-2-35768-176-7
ISBN numérique : 978-2-35768-181-1
OpenEdition Books : à venir

Au XVIe siècle, les guerres de religion ensanglantent l’Europe. Dans le Sud de la France, catholiques et protestants coexistent pourtant, particulièrement dans la principauté d’Orange, berceau d’une exceptionnelle biconfessionnalité. Après le temps des affrontements, au XVIIe siècle, les protestants s’y organisent en communautés, vivent à proximité immédiate des catholiques.

C’est cette histoire sociale, religieuse et politique mouvementée que relate Françoise Moreil. Maîtresse de conférences honoraire en histoire moderne à l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, elle décrit avec précision la vie des protestants au XVIIe siècle, retrace le parcours de personnalités emblématiques de ces temps troublés, évoque le destin des protestants qui, refusant d’abjurer, ont pris le chemin
de l’exil vers Genève ou Berlin après la révocation de l’édit de Nantes.

Cet ouvrage, hommage aux travaux d’une chercheuse passionnée, rassemble ses articles les plus significatifs. Il invite à une immersion dans le protestantisme méridional du XVIIe siècle.

Les académies réformées méridionales (Nîmes, Die, Orange),
« les escoles sont les fontaines d’humanité »

Trois académies réformées méridionales ont été regroupées ici dans l’optique de cet ouvrage à cause de leur situation géographique dans le croissant huguenot : ce sont celles de Nîmes, qui est la première créée dans le royaume de France, en 1561, soit deux ans après celle de Genève – fondée sous l’impulsion de Calvin, aidé de Bèze –, celle d’Orange qui voit en 1573 la création d’un collège par les princes de Nassau, en terre étrangère mais limitrophe du royaume de France et des États du pape et enfin celle de Die, née en 1604 par la volonté des consuls qui la demandaient depuis 1591. Elles seront étudiées selon l’ordre chronologique de leur fondation. Quant aux archives, elles sont ou totalement absentes pour Orange ou sous forme de mentions dans les registres consistoriaux de Nîmes ou dans ceux du collège diois.

Pour les hommes de ces temps, une académie est une institution universitaire, à la fois capable de former les futurs ministres de la parole de Dieu et de préparer les élites aux controverses qui deviennent l’autre forme de combat – de plume – après les guerres sanglantes du XVIe siècle. L’académie se présente donc comme une structure à plusieurs niveaux, d’abord le collège qui
se termine par deux années de philosophie, puis le cycle de théologie. Souvent, dans les règlements du temps, les deux cycles ne sont pas distingués nettement, comme nous le verrons à partir des sources. Les demandes de pasteurs deviennent de plus en plus importantes alors que l’offre reste faible. Il devient donc nécessaire d’assurer la relève du corps pastoral avec ces pépinières où sont formées les futures générations. Dès l’origine, l’école et la Réforme sont liées indissolublement et ont été bien étudiées auparavant.

Quel modèle ont suivi ces trois établissements méridionaux ? Lausanne, Strasbourg ou Genève ? Ou encore la Prophezei de Zwingli, fondée en 1525 à Zurich, ou Leyde pour l’académie de Saumur ? Lausanne est le seul établissement qui forme les futurs pasteurs francophones jusqu’à la création de celui de Genève. Cette académie, fondée grâce aux Bernois en 1537, ne reçoit son règlement qu’en 1547. Ce texte des Leges scholae Lausannensis est inspiré par Simon Sulzer qui, lors d’un séjour à Strasbourg, a été lui-même influencé par Jean Sturm et aussi par Mathurin Cordier ; ce dernier, qui fut présent à Paris en même temps que Jean Sturm, a été nommé principal du collège lausannois en 1545 tandis que Pierre Viret exerçait comme ministre. Ces hommes sont animés par les mêmes idées pédagogiques, qui reposent sur un enseignement progressif basé sur l’apprentissage du latin au moyen des textes des auteurs de l’Antiquité, complétés par l’étude de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique ; l’enseignement s’appuie sur des exercices de lecture et insiste sur la mémorisation et la pratique répétée de l’oral. Sept classes sont prévues au lieu des neuf strasbourgeoises. Il n’existe à Lausanne que la faculté de théologie. Le passage d’une classe à l’autre s’effectue par un système de promotions bisannuelles ; chaque classe est divisée en décuries. Dans les règles communes sont prévus des cours de musique à partir des psaumes.

Parmi les maîtres, certains sont des passeurs entre tous ces établissements, comme François Hotman qui fut régent à Lausanne et ensuite à Genève en 1572 ou Théodore de Bèze, recteur (1551 à 1552), et encore Jean de Serres. Ce dernier reçoit la charge de régent de première à Lausanne, puis celle de directeur du collège en 1572-1578 avant de venir à Nîmes pour exercer les mêmes fonctions. D’ailleurs, il a dédié le troisième tome de son « Platon » aux autorités bernoises en reconnaissance de leur accueil.

Les jeunes protestants dans la principauté d’Orange pendant l’Ancien Régime

Cette étude présente les jeunes gens depuis le berceau jusqu’au mariage, tant les garçons que les filles, autant ceux qui appartiennent aux milieux populaires que les notables, dans le cadre de la société réformée de la principauté d’Orange pendant l’Ancien Régime. Cette histoire s’inscrit entre guerres et occupations diverses pendant les tourments d’un difficile XVIIe siècle, dans un cadre institutionnel particulier où les populations se retrouvent dans une situation d’identification très nette accompagnée de la défense constante de leur foi, pendant toute leur vie. Vérifions si la « jeunesse est toujours l’âge privilégié du XVIIe siècle » grâce à de multiples sources, consistoriales et notariales, dans cette enclave biconfessionnelle. La principauté d’Orange a été étudiée au XIXe siècle, puis au XXe siècle par Marc Venard, Amanda Eurich et au cours d’un colloque récent. Signalons toutefois la difficulté de retrouver ces jeunes gens dans les archives, car ils sont rarement désignés en tant que tels à cause de leur minorité, sauf dans quelques actes comme les apprentissages. Les grandes étapes d’une vie, avec l’enfance, les apprentissages et le mariage, sont présentées.


Le temps de l’enfance

Dans cette terre marquée par la Réforme, l’entrée dans la société chrétienne s’effectue par le baptême qui est le premier sacrement pour les calvinistes. La sage-femme payée par la ville, Françoise Gondefroi, prête serment entre les mains du viguier « de servir tant riches que pauvres » en décembre 1601. La parité exige pour chaque confession deux sages-femmes en 1622, puis quatre en 1651, car la population augmente. Elles n’ont plus la possibilité d’ondoyer depuis l’interdiction de Calvin qui souhaite l’éradication des pratiques superstitieuses comme celle des sanctuaires à répit. Les registres de baptême sont tenus par les pasteurs mais aussi par les anciens qui les déchargent, comme en 1671 à
Courthézon. La cérémonie du baptême se déroule dans l’un des deux temples de la principauté dans un délai plus ou moins long après l’accouchement, délai qu’il est difficile de vérifier en l’absence de la datation de la naissance, qui n’est pas souvent indiquée. En 1642, Éléonore de Georges est invitée par le consistoire à faire baptiser son neuvième enfant, une fille prénommée Marie, trois semaines après l’accouchement, car elle semble avoir tardé selon la remarque des anciens de Courthézon.

On peut relever les prénoms qui témoignent d’un choix scripturaire conforme aux instructions de Calvin. En effet, à Genève, les prénoms des saints passent de 43 % à 3 % pour les garçons et de 49 % à 2 % pour les filles. Par contre, il est impossible de connaître le délai qui fut nécessaire pour éradiquer les prénoms catholiques, car il ne subsiste plus aucun des registres du XVIe siècle dans la principauté.

Dans une étude portant sur les cent vingt-sept prénoms masculins, Jean et Jacques arrivent en première position : Jacques seize, Jean quatorze, François onze et en dessous de dix, Pierre huit, Claude, Louis, Antoine, Daniel à sept occurrences ; Étienne et André six fois. Les prénoms suivants ne figurent qu’à un seul exemplaire : Adam, Balthazard, Charles, Christophe, Denis, Esprit, Gabriel, Gaspard, Georges, Guillaume, Hector, Honoré, Jean-Louis, Marc, Michel, Phinéas, Simon, Thomas, Isaac. Parmi les quatre-vingt-dix-neuf prénoms féminins les plus usités apparaissent à plus de dix mentions trois prénoms, Catherine treize, Jeanne douze et Magdelaine dix ; en dessous, Françoise et Marie sept, Suzanne et Marguerite six, Anne cinq, Judith quatre, Lucrèce et Marianne trois. L’éventail du prénom à occurrence unique est aussi large que chez les hommes : Alexandrine, Amélie, Antoinette, Constance, Denise, Esther, Ève, Félice, Hélène, Jaquette, Jacqueline, Joasine, Marthe, Pauline, Philiberte, Sibylle. Les enfants du pasteur Gaspard Martin, ancien capucin, sont prénommés Françoise, Jacques, Marthe, Jean. Le fils du sieur Reynaud de Berguerolles porte celui de son parrain, Constantin de Zuylichem, plénipotentiaire du prince en 1665. Les enfants reçoivent aussi les prénoms des princes ou des nobles locaux, Amélie, Fréderic-Henri, Guillaume, Olympe, Diane, Esprit, Éléonore, Philiberte, César, Lucrèce, Josine qui est celui de l’épouse du gouverneur Valckembourg, ou encore ceux des pasteurs Jean d’Espagne ou Étienne Aunet. La gamme se révèle extrêmement variée, même en respectant les consignes du fondateur.


La principauté d’Orange : un carrefour des relations entre France et Provinces-Unies au XVIIe siècle

À partir des années 1530, la principauté d’Orange, petit territoire enclavé entre le royaume de France et les États des papes, appartient à la famille de Nassau et lui permet de porter le titre de famille princière. Durant deux siècles de souveraineté, des liens forts unissent ces terres éloignées et non frontalières. L’attachement personnel entre la famille des Nassau et les Orangeois donne à cette enclave une dimension internationale, certes payée cher en guerres, occupations et émigrations pendant un large XVIIe siècle commençant à la mort de Philippe-Guillaume en 1618, marqué fortement par la Révocation, et se terminant en 1702 avec le décès de Guillaume III qui provoque l’ultime occupation française. Ces princes occupent presque tous la charge de stathouder, sauf pour la période
couvrant les décennies de 1650 à 1674.

Durant tout ce long siècle, des relations se sont nouées entre les uns, Orangeois, et les autres, habitants des Provinces-Unies. Qui sont les personnes concernées par ces échanges ? Une approche sociologique permet de présenter les différentes catégories, car nombreux sont les voyageurs entre ces deux contrées, les gens de pouvoir comme les princes, gouverneurs et conseillers, les hommes de la parole avec les pasteurs et imprimeurs qui tous pratiquent la même religion calviniste ; au total, une dizaine de pasteurs orangeois se rendent aux Provinces-Unies, des familles entières avec femmes, enfants et domestiques, mais aussi marchands, militaires ou archivistes.

La principauté, une enclave biconfessionnelle

C’est un petit territoire d’environ deux cent cinquante kilomètres carrés, presque enclavé dans le Comtat Venaissin, limitrophe du royaume de France par le Rhône et au sud des États du pape. Orange, peuplée d’environ trois mille habitants au XVIe siècle, détient tous les pouvoirs : la ville possède un siège d’évêché, la résidence du gouverneur qui gère la principauté, un parlement, créé en 1471, une université depuis 1365 et un collège réformé fondé par Louis de Nassau en 1573. Des liens économiques existent avec les bourgs voisins de Courthézon, Jonquières et Gigondas. La Réforme s’est implantée très tôt dans une société en mutation où s’est développée une nombreuse classe de marchands, d’artisans et de professions libérales, notaires, médecins, régents ; les calvinistes sont une minorité numérique, environ un tiers, mais sociologiquement ils appartiennent aux catégories aisées. Au XVIIIe siècle, la population est passée à environ dix mille habitants.

Après des décennies de guerres de religion, le prince Philippe-Guillaume octroie un édit qui partage également toutes les institutions entre les deux confessions. C’est le cas du parlement, du collège, des consulats, des conseils politiques des cités du territoire. Voici le premier article :

Premièrement suivant les édits faits par feu de très heureuse memoire nostre très honnoré seigneur et père et par feu nostre tres cher oncle Louis de Nassau, nous ordonnons que tous nos bons subjects de nostre principauté tant de la religion catholique apostolique romaine que de la religion prétendue reformée de quelque estat et qualité qu’ils soient, seront maintenus et entretenus en mesme esgalité sans exception, conservés et entretenus en l’exercice libre, public, entier et general de leur religion : deffendant tres expressement à toutes personnes de quelque estat, qualité ou condition qu’elles soyent, de les troubler, molester ny inquieter en façon et soubs quelque pretexte que ce soit.

Après cette rapide présentation, intéressons-nous à tous ces gens qui se rendent soit dans la principauté, soit aux Provinces-Unies par un long et difficile voyage qui peut, parfois, durer deux mois et demi à l’aller, en passant par Nice, Genève, Bâle, Dillembourg, Cologne, Emden et la mer pour gagner Rotterdam, quand les conflits empêchent de prendre une route plus directe. Deux fois par an, un messager ordinaire quitte Orange en destination du nord. Cet éloignement génère des dépenses importantes, comme le montre, en 1631, la facture de soixante écus pour les frais du voyage en Flandres du greffier de La Pise, ou encore mille huit cents livres en 1632 pour le séjour de deux députés auquel s’ajoute la location de chevaux. Cet aspect non négligeable est rarement évoqué. Lors du décès du prince en 1647, les représentants de la ville décident d’envoyer deux députés, un pour chaque confession, mais finalement un seul, de religion réformée, part, à cause des frais trop élevés pour une telle ambassade, tout en promettant que le prochain sera catholique. La parité religieuse fonctionne bien.


Après avoir mené de brillantes études d’Histoire à l’Université de Montpellier, Françoise Moreil clôture son parcours estudiantin en soutenant sa thèse en 1984. Publiée l’année suivante, celle-ci est consacrée à l’Intendance dans le Languedoc durant le XVIIe siècle.
S’imposant progressivement comme une chercheuse de référence dans le domaine du protestantisme méridional, Françoise Moreil est finalement nommée maîtresse de conférences à L’université d’Avignon en 2003. Depuis, elle n’a jamais cessé de publier des livres et des articles à ce propos, et ce, même après avoir pris sa retraite en 2013.


Nicolas Soulas, Catherine Wolff, Bruno Bertherat, Hélène Deronne, Amanda Eurich, Élie Pélaquier, et Bernard Thomas.


Franck Petit – Envoûtant Ventoux

Collection : En-Jeux
Thème : Nature, Environnement, Faune, Flore
Parution : 06/2016
Pagination : 233

Prix : 16 €

ISBN : 978-2-35768-052-4
OpenEdition Books : https://books.openedition.org/eua/3535?lang=fr

Le Ventoux est un des symboles de la Provence, appelé le “Géant de la Provence”, il réunit différentes personnalités : artistes, sportifs et naturalistes. L’ouvrage de Frack Petit, Envoûtant Ventoux, publié en juin 2016, célèbre ce véritable lieu de culture et d’histoire de la Provence. Dans ce billet, les EUA vous présentent deux extraits tirés de ce livre.

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Riccardo Rao – Le Temps des loups

Le temps des loups : histoire culturelle et environnementale d’un animal fabuleux
Riccardo Rao

Collection : En-Jeux
Parution : 16-11-2023
Thème : Biologie, Histoire
322 pages

PRIX : 18 €
Disponible au format numérique sur OpenEdition Books, à parution.

ISBN imprimé : 978-2-35768-167-5
ISBN numérique : 978-2-35768-168-2

Le loup, prédateur féroce ou animal fabuleux, ne cesse de faire parler de lui depuis des siècles. En associant à l’histoire la littérature, la psychologie et la biologie, ce livre propose une triple narration autour de la figure du loup : une histoire sociale qui invite à réfléchir sur sa coexistence pluriséculaire avec l’homme ; une histoire culturelle évocatrice de multiples représentations de l’Antiquité à nos jours ; une histoire écologique qui met en scène son rôle fondamental dans les écosystèmes naturels.
Cet ouvrage met en perspective des questions en débat aujourd’hui. Les loups sont, en effet, de retour dans toute l’Europe : d’anciennes peurs, jamais vraiment apaisées, refont surface.

Une traduction de l’italien par Laurent Lombard.

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